À l’heure actuelle l’archipel nippon compte un peu plus de 126 millions d’individus, un chiffre qui ne cesse de baisser depuis 2010, la faute à un taux de natalité très bas depuis plusieurs années couplé au vieillissement important de la population. Avec comme conséquence un nombre d’actifs qui se réduit lorsque qu’à l’inverse le nombre de retraités augmente, créant un déséquilibre sociétal important. Le gouvernement japonais cherche aujourd’hui à limiter les impacts sociaux et économiques qui en découlent mais se heurte aux mentalités encore très conservatrices d’une majorité de la population.

Nous nous en étions fait l’écho dans un précédent article, la natalité est en crise au Japon. Le nombre de mariages a chuté de 30% en 30 ans en conséquence de quoi 70% des hommes et 60% des femmes du même âge sont célibataires. Cette situation inquiétante a un impact direct sur la natalité dans un pays où on conçoit encore mal l’idée d’avoir un enfant hors mariage (2% des naissances au Japon contre 58% en France). De fait le taux de fécondité japonais est bas, s’établissant à 1,42 enfant par femme (alors que le renouvellement des générations nécessite un taux de 2,1). Pour les couples déjà parents, le frein à un second ou un troisième enfant repose sur le coût extrêmement élevé qu’entraîne l’arrivée d’un nouveau-né, en particulier celui des études. Coûts que ne compensent pas les subventions versées par l’État jusqu’aux trois ans d’un enfant. Au Japon, il n’est pas surprenant pour un couple de devoir économiser en prévision des futurs frais d’université dès la naissance du bébé. De plus, le coût de la vie reste globalement assez élevé, limitant les possibilités de freiner son activité professionnelle pour concevoir un enfant. Dans un pays où la croissance est nulle, la dette intérieure colossale et où les salaires stagnent, la peur de l’avenir prend le pas sur le désir d’agrandir la famille.

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Seulement 88 millions de Japonais en 2065

Si à première vue une baisse de la natalité peut avoir des effets bénéfiques comme un taux de chômage à 2,8% pour mars 2017 qui ferait rêver n’importe quel pays développé, il s’agit plutôt d’une bombe à retardement aux effets désastreux à moyen terme. Du moins, selon le prisme de l’économie actuelle perfusée à la Croissance. Avec trop peu de demandeurs d’emploi, les entreprises peinent déjà à trouver de la main d’œuvre suffisante pour fonctionner et sont souvent obligées de restreindre leur activité (notamment dans le bâtiment, le transport et la restauration), freiner leur développement ou, dans les cas extrêmes, doivent délocaliser. On mise aussi sur les progrès de la robotique pour pallier au manque de personnel dans un futur proche et venir en aide aux personnes âgées. Moins d’habitants, plus de robots, pourquoi pas ?

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Le plus préoccupant aujourd’hui est sans aucun doute le poids social important (coût des retraites, des soins,..) que les retraités font peser sur les épaules d’actifs toujours moins nombreux. En effet, le principe actuel de la sécurité sociale veut que les travailleurs supportent le coût des inactifs. Ceci ne fonctionne que dans une société où la population est en Croissance. Ors, le nombre de personnes âgées ne cesse d’augmenter : les plus de 65 ans représentent 28% de la population (contre 19% en France) et l’espérance de vie au Japon est de 80 ans pour les hommes et de 86 ans pour les femmes (chiffres de 2015). En 2016, il y avait 20 669 centenaires dans l’archipel. Les prévisions de l’Institut de recherche de la Population et de la Sécurité Sociale proche du gouvernement confirment que les chiffres sont alarmants : la population japonaise devrait baisser de 30% d’ici 2065, soit presque 40 millions d’individus en moins si la situation demeure en l’état.

Encourager le travail des seniors et des femmes, l’arbre qui cache la forêt

Pour enrayer ce phénomène aux conséquences tant sociales qu’économiques, le gouvernement a alors demandé aux personnes proches de la retraite de repousser leur départ et a aussi augmenté l’âge du départ en retraite. Mais il ne s’agit que d’une bouffée d’air toute provisoire, éludant une problématique institutionnelle. Le gouvernement a également encouragé la présence des femmes sur le marché du travail en créant notamment 400 000 garderies d’ici 2018. Et c’est là que s’affrontent deux visions de la société japonaise : le Japon subit une crise d’identité, déchiré entre le modèle familial traditionnel (l’épouse à la maison qui s’occupe des enfants et le mari qui subvient aux besoins de sa famille) complété par celui du salaryman dévoué corps et âme à son entreprise qui ne fait plus rêver contre l’émancipation des femmes sur fond de reconnaissance sociale qui gagne les mentalités.

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Les femmes sont de plus en plus nombreuses à vouloir faire carrière, ce qui revient à repousser le moment de se marier et donc l’arrivée du premier enfant. Si tant est qu’une fois devenues mères, elles aient envie de quitter leur travail car c’est une règle implicite encore très présente au Japon qui oblige une femme à démissionner après l’accouchement sous peine de passer pour une mauvaise mère. Alors beaucoup de femmes même mariées renoncent à devenir mère et se concentrent sur le carrière professionnelle puisque concilier les deux est toujours mal vu. Les hommes font de même, déconcertés par ce changement de mentalités où ils peinent à trouver leur place. Conclusion : incitées à travailler pour pallier au manque d’actifs, les femmes ne font plus d’enfants à cause du carcan social traditionnel qui continue lui, de peser sur elles. Un cercle vicieux dont les autorités ont du mal à se dépêtrer.

À tout ceci s’ajoute une énième problématique encore plus pernicieuse : la progression de l’infertilité chez les jeunes hommes probablement liée à la forte industrialisation de l’alimentation après le seconde guerre mondiale et le contact permanent de la population aux substances chimiques.

L’immigration, la solution qui suscite le rejet

Malgré la perte de 500 000 actifs chaque année, le Japon reste réticent à ouvrir ces portes à l’immigration, effrayé par les problèmes sur fond de multiculturalisme médiatisés dans d’autres pays. Traditionnellement, et du fait même de vivre sur une île, les Japonais demeurent attachés à une certaine homogénéité de leur population et peu ouverts au mélange des cultures. Conséquence : les enfants issus de couples mixtes ont parfois du mal à définir leur identité ou subissent brimades et rejet (l’élection de Miss Japon en 2015 l’a rappelé). Au compte goutte, des visas de travail pour 5 ans nommés « gastarbeiter » sont délivrés et en octobre dernier on comptait le nombre record 1,08 million de travailleurs étrangers au Japon (ce chiffre comprenant les étudiants en échange scolaire), on est très loin de la colonisation. Il devient pourtant de plus en plus certain que l’immigration est une des solutions à long terme qu’il faille envisager pour que le Japon sorte de la crise démographique, comme l’a déclaré Sadayuki Sakakibara, président de la Fédération des organisations économiques japonaises (Keidanren) lors d’une conférence le 10 avril dernier. Reste à convaincre les Japonais…

S. Barret


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Sources :  japantimes.co.jp / japantimes.co.jp / francetvinfo.fr / lexpress.fr /