C’est un rituel dont tout amoureux du Japon a déjà entendu parler, si pas assisté. Symbole de douceur, de tradition, de savoir-faire ancestral, la cérémonie du thé est la quintessence de la culture japonaise traditionnelle. Pour autant, connaissez-vous avec précision son origine, son déroulement, les accessoires qu’elle nécessite ? Aujourd’hui, Pouply vous dit tout de la cérémonie du thé.

4 principes historiques au nom de l’Harmonie

La présence de thé est attestée au Japon depuis le IXème siècle, époque à laquelle le Japon avait de nombreux contacts et échanges avec ses voisins coréens et chinois. Les premières feuilles de thé auraient été ramenée de Chine par le moine bouddhiste Saichô qui fonda l’école Tendaï. Le thé fut apprécié par les japonais au point d’être rapidement cultivé partout sur l’Archipel. Mais ce n’est qu’au XIIème siècle que la variété de thé vert « matcha » arriva au Japon avec le retour de moines japonais bouddhistes initiés en Chine dans des temples ‘chan’ (ce qui donnera le ‘zen’ au Japon). Parmi ces moines, on compte le maître zen Eisai (1141-1215) qui fondra l’école Rinzai, l’une des principales écoles du bouddhisme zen japonais. À l’image du Ramen, le thé matcha si central à la culture nippone est à l’origine le fruit d’une influence étrangère.

Dans un premier temps ces moines seront les seuls à en consommer, le thé brut riche en caféine les aidant à rester éveillés durant leurs longues heures de méditation. Puis au XIIIème siècle, ce rituel gagnera la classe des samouraïs qui y voient un moyen d’entraîner leur esprit de par la rigueur et la concentration que l’art de boire du thé requiert. Des qualités qui se retrouvent dans une discipline militaire radicale et codifiée à laquelle ils s’astreignent. Par ce biais, les samouraïs désiraient aussi rivaliser avec la noblesse de Cour, rompue à toutes sortes d’arts. C’est un shogun, Ashikaga Yoshimasa (1435-1490) qui va ériger la consommation de thé en art raffiné.

Le maître de thé Sajin. Par Totoya Hokkei. Source : artelino

Dans leur pratique, les samouraïs utilisent de précieux objets richement décorés venus de Chine. Mais par la suite, c’est une esthétique dépouillée et sobre, le wabi, dérivée du zen qui va s’imposer. Elle sera portée par la manière dont la bourgeoisie – soumise à des lois somptuaires – s’est aussi appropriée ce rituel et surtout par la codification que vont y apporter trois grandes figures de l’époque. Ainsi, au XVème siècle, le moine zen Murata Shukô (1423- 1502) crée de nouvelles règles accentuant la rigueur de la cérémonie et qui se transmettront jusqu’à nos jours. Il rapproche la pratique de la cérémonie du thé d’un exercice de méditation du bouddhisme zen.

Takeno Jôô (1502-1555), un homme issu de la classe marchande et maître de cérémonie du thé, précise ces règles et insiste sur la simplicité des accessoires qu’il conçoit lui-même. Une forme de minimalisme qui contraste avec la codification complexe du rituel. C’est à son époque que la pratique gagne toutes les couches de la société, des plus riches aux plus pauvres. Mais l’Histoire retiendra particulièrement le nom d’un de ses disciples, le moine Sen no Rikyû (1522-1591) qui imposera le style « wabi » caractérisé par un raffinement simple et qui élèvera la cérémonie du thé au rang d’art majeur.

Sen no Rikyû définit les quatre principes régissant toujours la cérémonie du thé : l’harmonie, le respect, la pureté et la sérénité. Il est aussi à l’origine du concept « Ichi go ichi e » (« une fois, une rencontre ») prônant que chaque rencontre est unique et qu’il faut en savourer le moment dans le respect de la Nature et de tous les convives. Il en découle aussi la nécessité d’un nombre réduit de participants à la cérémonie du thé pour apprécier pleinement cet instant où tous sont égaux, quel que soit leur rang fixé par la société.

La popularisation du thé donnera également naissance à des marchands de thé itinérants.

La sobriété et le dépouillement prônés par Sen no Rikyû lui attira le ressentiment du shogun Hideyoshi Toyotomi, l’un des grands unificateurs du Japon et partisan de cérémonies plus fastueuses, qui entre en conflit ouvert avec lui et le contraint à se suicider ! Mais son esprit restera vivant à travers les temps. Son enseignement perdurera ainsi à travers ses trois arrière petits-fils qui fonderont chacun une école de thé : Omotesenke, Urasenke et Mushanokōjisenke. Elles sont toujours les principales écoles japonaises pour s’initier à la Voie du thé « chadô ».

Après la mort de Sen no Rikyû, les règles de la cérémonie du thé se figent définitivement. Mais peu à peu cette discipline tombe en désuétude pour ne plus être pratiquée que par les classes aisées de la population. À l’époque Meiji (1868-1912), son enseignement s’ouvre seulement aux filles mais c’est après la Seconde Guerre Mondiale que la cérémonie du thé connaîtra un regain de faveur auprès des Japonais allant jusqu’à s’exporter hors des frontières du Japon. Aujourd’hui, ce sont majoritairement des femmes qui pratiquent la cérémonie, ajoutant une touche de douceur supplémentaire pour le plus grand bonheur des amoureux du matcha.

Les accessoires

On l’a vu, une dimension spirituelle issue de la philosophie « zen » imprègne fortement la cérémonie du thé. Autrefois ostentatoires, les ustensiles de la cérémonie du thé célèbrent désormais la Nature de par leur matériau (terre ou bois) et la grande simplicité de leur conception.

Accessoires indispensables. Source : flickr

Le bol « chawan » est l’accessoire central de la cérémonie. Selon la règle, le chawan doit être constitué de céramique japonaise fabriquée de façon artisanale. Des bols vieux de plusieurs siècles peuvent être d’une grande valeur, certains ont même reçu le titre de Trésor national. Selon la saison, le thé préparé ou le type de cérémonie, le maître de thé choisira un bol adapté, plus ou moins profond, évasé…

Sur la photo ci-dessus le bol repose sur un « fukusa », un carré de soie qui sert à nettoyer la boite à thé, le « chasaku » et pour prendre le couvercle de la bouilloire.

À gauche du bol se trouve le « chasen ». C’est un fouet fait d’une unique pièce de bambou avec lequel on mélange l’eau et la poudre de thé. Objet fragile, il est le plus souvent conservé sur un naoshi, une pièce de céramique en forme de cloche. Un chasen usé n’est jamais jeté à la poubelle ! Après plusieurs mois/années de service, et par respect pour cet instrument central dans la cérémonie, les maîtres vont le faire incinérer dans un temple où un fois l’an une cérémonie leur est consacrée.

Le thé préalablement réduit en poudre et tamisé est contenu dans une petite boite en bois laqué, le « natsume ». Le natsume sert lorsqu’on veut servir du thé léger. Pour du thé épais, on a recours à un « cha-ire », la boite est alors en céramique.

À ses cotés on trouvera le « chashaku », une petite cuillère qui sert à doser la quantité de poudre de thé que l’on met dans le bol. Comme le chasen, le chashaku est fait d’une pièce de bambou dont un renflement naturel doit apparaître au milieu de sa longueur.

Dernier élément, le « hishaku », une longue louche en bambou avec laquelle on puise l’eau de la bouilloire pour la verser dans le bol. Elle est constituée de la même manière que les louches de purification que l’on trouve à l’entrée des temples et des sanctuaires.

Autre objet qui n’est pas présent sur cette photo, le « chakin« , il s’agit d’un tissu en lin avec lequel le maître va essuyer le bol au cours de la cérémonie.

Dans la pièce où la cérémonie du thé se déroule, le maître de thé dispose également d’une bouilloire « kama » où sera chauffée une eau de qualité qui sera mélangée avec le thé. Un récipient avec de l’eau froide « mizusashi » et un autre vide pour les eaux usées « kensui » seront aussi utilisés lors du nettoyage des accessoires. Rappelons enfin que l’opération se déroule toujours sur un tatami.

Crédit : Robert van Koesveld

Le déroulement d’une cérémonie étape par étape

Idéalement, la cérémonie du thé se tient dans un pavillon « chashitsu » à l’architecture dépouillée et à la décoration sobre. On parviendra à ce pavillon en traversant un jardin, ce qui poussera à admirer la beauté de la Nature. Un bassin permet de se purifier avant de pénétrer dans la pièce où se tient la cérémonie. La porte du pavillon est basse, pour forcer les convives à se baisser en entrant, signifiant que tous sont humbles et égaux. Par ailleurs, les samouraïs qui formaient la caste la plus haute de la société, devaient déposer leur sabre avant d’entrer. C’est ainsi symboliquement une zone de paix et de sérénité, notamment pour tenir des discussions politiques.

La pièce qui accueille la cérémonie mesure précisément quatre tatamis et demi. Dans l’alcôve « tokonoma », le maître aura pris soin d’accrocher une calligraphie et de disposer un « chabana », un arrangement floral, en accord avec la saison et l’occasion.

Cérémonie du thé. Photographie par Mr Japanization. Tokyo. Mai 2019.

Avant la cérémonie du thé elle-même, dans une version longue un repas « chakaiseki » peut être servi aux invités. Sinon le maître distribue directement des douceurs sucrées que les convives reçoivent sur un papier « kaishi » qu’ils ont amené. Cette friandise est destinée à atténuer l’amertume du thé. Durant toute la cérémonie, les invités demeurent assis et silencieux. L’atmosphère créée par le lieu et la pratique du maître (les mouvements et sons produits lors de la cérémonie) sont propice à la relaxation et à la méditation. Le maître apporte ces accessoires et procède à leur nettoyage (symbolique). Chacun de ses gestes est très précis. Rien n’est laissé au hasard : de la façon de se déplacer sur le tatami à son arrivée, à la manière de plier le fukusa, la disposition et l’ordre dans lequel il saisit ses instruments, tout obéit à une codification extrême du début à la fin de la cérémonie. De quoi vivre et faire vivre une expérience hors du temps.

Ensuite vient la préparation du thé. Le maître dose la quantité de poudre en fonction du type de thé qu’il veut servir (plus ou moins épais). Puis l’eau chaude est ajoutée. Avec le fouet, le maître mélange l’eau et la poudre de thé en fouettant vigoureusement jusqu’à obtenir une mousse à la surface du thé. Le bol préparé est servi au premier invité qui échange une salutation avec le maître. À son tour, l’invité doit suivre un rituel précis. Il prend le bol dans la main droite puis le met délicatement dans sa main gauche, le lève pour saluer son hôte ; avant de le porter à ses lèvres il fait tourner deux fois le bol dans le sens horaire pour éviter de boire sur sa « face avant » ; puis il boit le thé en trois petites gorgées et essuie le bord du bol où il a bu. Enfin, selon ce qu’il a été convenu précédemment, soit il passe le bol à l’invité suivant en lui présentant par la face avant (tout le monde boira alors le thé du même bol), soit il le rend de la même manière au maître qui préparera alors un bol par invité. La cérémonie se finit lorsque tous les invités ont dégusté le thé et que le maître a lavé les ustensiles.

C’est seulement à ce moment – et pas avant ! – que la conversation pourra s’engager entre l’hôte et ses convives. Ces derniers pourront alors admirer les accessoires dont le maître s’est servi et le questionner sur leur origine. Puis le maître range son matériel et se retire, les invités le suivent et la cérémonie est alors terminée. Avec un repas, une cérémonie peut durer jusqu’à 4h. Si seul le thé est servi, ce temps est raccourci à une demi-heure/une heure.

Prêt à déguster

Un bol de thé vert « matcha ». Source : flickr

Aujourd’hui encore, chaque école de thé propose différentes variantes de la cérémonie selon le type de thé servi et la façon de le préparer, sur tatami ou, à l’ère moderne, assis à une table de type occidentale. Mais quelle que soit la pratique étudiée, il faut des années avant d’en maîtriser les moindres gestes. La Voie du thé est une philosophie que certains amoureux de cet univers singulier passent une vie à étudier.

Aujourd’hui, l’usage du thé matcha dépasse largement celui du cadre de la cérémonie traditionnelle. On en trouve sous toutes les déclinaisons : boisson frappée, gâteaux, soba, crème glacée, la limite semble être l’imagination. Pour vous faire découvrir ces différentes spécificités, notre équipe offre à nos abonnés plusieurs packs « matcha » contenant de nombreux produits originaux dont de la poudre de thé pure 抹茶 et un chasen en bambou. Rendez-vous sur Tipeee pour en savoir plus et soutenir notre travail.

S. Barret


Pour un média libre et indépendant sur le Japon, soutenez Poulpy sur Tipeee !