Fin des années 90, sous l’impulsion d’un mouvement citoyen, le Japon lançait d’importantes campagnes anti-diesel appuyées par des associations et une volonté politique forte. En effet, on connaissait déjà à l’époque le danger de l’utilisation du diesel sur la santé. En conséquence de quoi le diesel a pratiquement disparu du territoire et Tokyo est devenu un exemple en matière de ville à l’air propre. Mais depuis peu, on assiste à un revirement inédit de la situation. Le gouvernement Abe, qui vient de remporter une nouvelle victoire écrasante, semble tout miser sur ce carburant et encourage même financièrement la vente de voitures roulant au diesel. Décryptage d’une volte-face.

Sus au diesel !

Les japonais semblent prendre un malin plaisir à tout faire à l’envers, pour le meilleur comme pour le pire. Fin des années 90, les autorités japonaises mènent une guerre sans pitié contre le gazole. En cause, la forte pollution générée par les moteurs diesel et le nombre important de décès liés à des maladies respiratoires, les cancers causés par les particules fines (classées dans le groupe des substances les plus cancérigènes par l’OMS) ainsi que les oxydes d’azote relâchés par ces moteurs. Pendant ce même temps, en France, la gouvernement mise tout sur le Diesel pour des questions économiques. Aujourd’hui, on estime entre 38 000 et 42 000 le nombre de morts lié à ce carburant, chaque année dans le monde. S’il est de notoriété que les paquebots sont partie des plus gros pollueurs en la matière, leurs moteurs n’exposent pas directement les populations des villes. Et c’est bien là tout l’enjeu de la problématique des véhicules urbains.

En 1999, de part la volonté du gouverneur de Tokyo fraîchement élu, la campagne nationale « Dites non au diesel«  est lancée, encourageant à « ne pas conduire, ne pas acheter, ne pas vendre » de véhicule diesel. La transition est alors rapide et sans opposition. Les japonais acceptent les nouvelles taxes qui ne cherchent pas à les punir mais à encourager la transition pour, accessoirement, sauver des vies. Partout avant l’heure, on fait la promotion de véhicules plus ‘propres’ (point de vue qualité de l’air) et des lettres d’information sont envoyées aux 5,5 millions de particuliers possesseurs de diesel et à 3800 entreprises pour les inciter à se tourner vers l’essence ou les premières hybrides.

Tokyo & sa pollution. Source : Flickr

En parallèle, le Japon adopte l’instauration d’une législation sévère sur les taux d’émission de particules, la mise en place de contrôles routiers rigoureux, l’octroi de subventions pour les mises aux normes et le développement encouragé des techniques de purification des gaz d’échappement et de pots catalytiques. Ces opérations ont ainsi discrédité l’usage du diesel d’abord à Tokyo, puis ont été reprises dans d’autres préfectures japonaises.

Ces efforts vont s’avérer payants à court terme : en 2005, seulement 0,4% des véhicules pour particuliers roulaient au diesel et la concentration en particules fines dans l’atmosphère va baisser de 55% entre 2001 et 2011. Le smog qui menaçait la capitale nipponne une quinzaine d’années en arrière est devenu de l’histoire ancienne, le Mont Fuji distant d’une centaine de kilomètres est enfin visible depuis Tokyo. Le résultat est indéniablement positif pour la santé des populations.

Volte-Face surprenant

Si le Japon, et en particulier Tokyo, était devenu un modèle dans le monde pour son air peu pollué, depuis 2010, la donne a changé. Le gazole refait son grand « coming back » dans l’archipel sans faire de vague. En effet, le gouvernement japonais actuel estime, sur base des fiches constructeurs, que les récents moteurs équipés de filtre à particules sont propres. Mieux, les véhicules roulant au dénommé ‘diesel propre’ sont désormais considérés comme des ‘véhicules écologiques’ ce qui les dispensent de deux taxes ! Et comme si ça ne suffisait pas, les autorités encouragent aujourd’hui financièrement les acheteurs en réduisant de 75% la ‘Automobile Tax’ japonaise. Objectif affiché du gouvernement : que la part des véhicules particuliers roulant au diesel représente 5 à 10% du parc automobile nippon d’ici 2030 ! Au même moment, partout ailleurs dans le monde, une guerre tardive contre le diesel s’engage pour des raisons sanitaires.

Trafic à Shibuya. Source : Flickr

La raison derrière ce revirement ? Principalement les émissions de CO2 qui sont, sur le papier, d’environ 15% inférieures avec les moteurs diesel qu’avec les moteurs à essence (en moyenne 2,67 kilos de dioxyde de carbone contre seulement 2,28 kilos pour un litre d’essence). Une donnée à ne pas négliger car le Japon s’est engagé dans la lutte contre le réchauffement climatique suite au Protocole de Kyoto actif depuis 2005 et visant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Quand aux particules fines et aux oxydes d’azote, leur rejet dans l’atmosphère est dorénavant régulé par le filtre à particules. De plus ces émissions seraient assez similaires à celles des derniers moteurs à essence du marché.

Malgré la mauvaise image du diesel encore bien présente dans les esprits et le récent scandale des moteurs truqués de Volkswagen, le grand retour du Diesel s’opère au Japon. On note ainsi une augmentation de 80% des ventes de voitures diesel entre 2012 et 2014 (soit 75 000 véhicules), ce qui correspond à 5,7% des ventes totales. Toutefois, on compte encore moins de 1% de véhicules particuliers diesel en circulation au Japon. Mais ce choix cornélien entre deux carburants issus du pétrole n’est-il finalement pas une impasse cherchant à perpétuer un modèle dépassé ? En toile de fond, le développement de moteurs hybrides et à hydrogène poursuit se chemin. Toyota veut, par exemple, fabriquer 1,5 million de voitures hybrides à partir de 2020 et faire baisser de 90% les émissions de CO2 en 2050 par rapport à 2010 sur l’ensemble de ses voitures. Par ailleurs, les moteurs électriques font leur bout de chemin. Si le Japon compte près de 40 000 bornes de recharge (soit plus que de stations essence), le marché de l’électrique dépasserait à peine les 0,6% dans l’archipel…

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Et pourtant des problèmes persistent

Certains spécialistes émettent de sérieuses réserve sur l’efficacité des filtres à particule, à savoir sa tendance à s’encrasser, voire à se boucher si certaines règles de conduite précises ne sont pas réunies : le véhicule doit avoir roulé au moins 15km, au-dessus de 50 km/h (voir plus selon le modèle) à un régime moteur soutenu et pendant minimum un quart d’heure, pour atteindre une pleine efficacité. Des conditions on l’imagine délicates à obtenir pour les automobilistes évoluant principalement dans un milieu urbain et sur de courts trajets. À ajouter à la difficulté d’équiper les anciens moteurs et le fait que certains propriétaires fassent retirer leur filtre pour améliorer les performances de leur voiture…

Et quand bien même les filtres fonctionneraient en pleine efficacité comme annoncé par les constructeurs, les particules restantes, directement au contact de la population, ne sont pas négligeables pour la santé. Par ailleurs, les filtres n’éliminent pas les émissions d’oxydes d’azote : de 70-90% de filtration pour les moins efficaces et jusqu’à 80-95% pour les plus performants, du moins en théorie. Un récent rapport de Transport & Environment a montré que les voitures diesel conformes à la dernière norme Euro 6 rejettent cinq à dix fois plus de ces gaz que les limites autorisées et que leur filtration ne fonctionne pas si la température du moteur n’est pas assez élevée, comme lors de trajets courts et d’arrêts fréquents. Autant dire que l’efficacité réelle est donc toute relative.

Source : Flickr

De même, des écarts entre la théorie et la réalité ont été relevés quand à la quantité réelle de CO2 que les moteurs diesel relâchent par l’International Council on Clean Transportation qui avait fait éclater le scandale Volkswagen. En 2015, cette ONG américaine a constaté des rejets supérieurs de plus de 40% en moyenne à ceux annoncés par les constructeurs sur des véhicules vendus en Europe l’année précédente, toutes les marques étant concernées à l’exception près de certains modèles Toyota. Son rapport pointe aussi que « les émissions réelles de CO2 de l’ensemble des véhicules diesel vendus en 2014 s’élevaient (en moyenne) à 170 g/km, et celles concernant les véhicules essence étaient de seulement 168 g/km, soit un écart de plus de 2 g/km en faveur de l’essence« . L’explication tiendrait au fait que les constructeurs équipent leurs gros modèles en diesel renonçant, pour des raisons de coûts, à faire de même pour les citadines. Qu’importe, dès lors qu’à puissance équivalente un moteur diesel consomme moins qu’un moteur essence, ce déséquilibre dans l’équipement des véhicules selon leur gamme contrebalance l’avantage du diesel sur l’essence dans les émissions de CO2…

Entre le filtre à particule dont l’efficacité ne peut être garantie en toutes circonstances, les quantités annoncées de CO2 et d’oxydes d’azote émises sous-estimées ou mensongères, les raisons ne manquent pas de s’interroger sur la pertinence de la préférence du diesel sur l’essence. Sans oublier que dans les deux cas, perpétuer ces moteurs enferme la société dans sa dépendance au pétrole. À l’exemple de Toyota au Japon, on ne peut qu’espérer que la totalité des constructeurs se mettent à développer sérieusement des moteurs qui mériteront réellement l’appellation ‘propre’ (en France Renault & PSA se concentrent sur le moteur électrique), puisque visiblement, et malheureusement, cette option n’est pas à l’ordre du jour du gouvernement japonais. Quand à l’impact CO2 des transporteurs maritimes, les véritables veines de la mondialisation, celui-ci est tellement important qu’on peine à imaginer de véritables solutions écologiques à ce jour.

S. Barret


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Sources : liberation.fr / liberation.fr / lefigaro.fr / lelynx.fr / francetvinfo.fr / challenges.fr / challenges.fr /