Dans les métropoles japonaises, il est cher de se loger et les appartements sont pour la plupart de petite taille, raison qui empêche souvent les Japonais de recevoir chez eux. Très souvent, les propriétaires interdisent aussi la présence d’animaux de compagnie. Alors, pour pouvoir profiter de la présence d’un chat ou de tout autre animal, des établissements se sont ouverts pour offrir cette possibilité aux amoureux des animaux. C’est ainsi qu’il est possible de louer un chien à l’heure ou à la journée. Depuis le boom de ce marché au début des années 2000, l’offre s’est malheureusement élargie et des cafés à hiboux, serpents, lézards ou encore à loutres ont vu le jour. Des pratiques commerciales toujours plus « folles » qui interrogent sur le bien-être des animaux.

En pénétrant dans un Neko Cafe (un bar à chats), le client reçoit immédiatement des consignes strictes pour préserver la tranquillité des petits félins qui peuplent le lieu. On se déchausse (à la japonaise), on se lave les mains pour ne pas apporter de microbes, on passe sa commande (boissons ou gâteaux). L’interaction avec les chats est strictement établie : il ne faut pas les réveiller, utiliser un flash quand on les prend en photo, leur courir après ou insister si le chat ne veut plus de l’attention et s’éloigne. Les prendre dans les bras est le plus souvent interdit. Bref, bien qu’ils n’aient pas accès à l’extérieur, la qualité de vie des minous prime avant toute autre considération et des associations de protection surveillent de près les établissements astreints aussi à un contrôle vétérinaire régulier.

En 2012 les associations ont obtenu le vote d’une loi interdisant l’exposition de chats et de chiens après 20h dans les animaleries. Il s’agissait de circonvenir au stress subi par les animaux exposés toute la journée et jusque tard dans en soirée dans des cages en verre et soumis à un éclairage puissant. Une loi qui par ricochet s’est aussi appliquée dans les Neko Cafe. Les propriétaires ont fait valoir que leur activité est surtout nocturne étant donné que leurs clients sont majoritairement des salarymen venant se déstresser après le travail. Ils ont mis en avant leur respect pour le rythme biologique des chats justement plus actifs le soir, certains allant même jusqu’à calculer les horaires de présence des chats pour établir un roulement des chats, certains étant avec les clients pendant que d’autres se reposent dans une pièce à part. En 2016, les bars à animaux ont de nouveau eu le droit d’ouvrir jusqu’à 22h.

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De telles mesures et attentions laissent penser que ces chats sont loin de subir une exploitation cruelle, voire sont peut-être même mieux traités que dans certaines familles (même si des cas de Neko Cafe maltraitants ont été à déplorer au cas par cas). Toutefois, on peut comprendre l’avis des amoureux de chats pour qui un chat ne doit avoir qu’une famille, ne pas être en permanence avec de trop nombreux congénères (parfois jusqu’à 30 chats dans la même pièces) et au contact de dizaines d’inconnus par jour.

En France où des bars à chats ont ouvert depuis quelques années, les chats viennent de refuges (souvent surchargés) ayant établi un partenariat avec le bar. Les chats sont choisis pour leur sociabilité, leur capacité à vivre avec d’autres chats et à ne pas avoir peur des humains. Ainsi, plutôt que d’être entassés dans un refuge, ils vivent dans un espace plus grand et confortable (et les chats restés au refuge en bénéficient indirectement). Les clients peuvent même adopter un protégé après s’être familiarisé quelques temps avec lui dans le bar, pour éviter un acte impulsif. Tout le monde sort gagnant de ce système, qui pourrait faire des émules au Japon où on compte un envol des abandons. A l’inverse, les japonais aiment les chats de race et ceux-ci sont achetés par les professionnels pour l’occasion.

Mais les chats ne sont pas les seuls animaux dont on peut louer la compagnie au Japon. C’est ici que la zone d’ombre s’installe. Les amoureux des chiens qui ne peuvent en avoir chez eux ont la possibilité d’aller louer un chien, à l’heure ou à la journée. Plus d’une centaine d’enseignes proposent ce service à Tokyo. Il y est en outre possible de les acheter. Mais cette pratique suscite des critiques de la part de vétérinaires pour qui le chien a besoin de repères environnementaux et d’habitudes. Là où un chat est plus territorial, le chien s’attache à ses maîtres. Et le fait d’être en contact avec un nouvel humain tous les jours peut causer de l’anxiété à ces chiens en location, voire des troubles du comportement. Pour autant, la pratique n’est pas interdite même si elle reste discutable moralement parlant.


On retrouve les mêmes problématiques avec les NAC (nouveaux animaux de compagnie) dont le succès auprès de la population s’est élargi aux bars. Outres des bars à chats, on peut depuis quelques années visiter aussi des bars à serpents, des bars à chouettes, des bars à hérissons, suricates, lézards, loutres,… La liste est sans limite. Inutile d’être expert animalier pour constater que, quels que soient les soins et l’attention portés à ces animaux, l’environnement du bar ne peut qu’être très éloigné de l’environnement naturel de ces animaux sauvages non domestiqués. Les bars à chats reproduisent suffisamment fidèlement un environnement domestique où le petit félin peut se sentir à l’aise comme dans une « vraie maison ». Mais que penser des petites cages dans lesquelles sont confinés serpents, iguanes, furets, etc. passés de mains en mains d’un client à l’autre toute la journée ? La loi autorise d’avoir ces même animaux chez soi, mais pour leur bien-être, un propriétaire consciencieux devrai posséder un vivarium ou une cage d’une taille adaptée. Et il n’ira pas les déranger et les manipuler plusieurs fois par jour sans autoriser une seule minute de repos. Quant à la chouette, animal nocturne, on imagine facilement le stress induit par le fait d’être toute la journée dans une salle éclairée, si ce n’est pas dans la rue pour attirer le client.

Le développement des bars à animaux exotiques met aussi en danger certaines espèces, comme la loutre, incarnation de l’animal sauvage ultra-mignon. Le premier bar à loutres (et chinchillas) a ouvert à Tokyo en 2017. Or plusieurs espèces de loutres sont en danger : la loutre eurasienne sera bientôt menacée de disparition, la loutre à nez poilu l’est déjà, la loutre à petites griffes vulnérable et la loutre à laque lisse voient leur population diminuer. En parallèle, le trafic clandestin à destination du Japon augmente. Car ce type de bar alimente aussi la demande de la clientèle qui tombe amoureuse de ces animaux exotiques. Entre 2015 et 2017 les autorités thaïlandaises ont saisi 35 loutres dont 32 en chemin pour le Japon. L’organisation TRAFFIC South Asia estime que le trafic de loutres à destination d’animaleries représente désormais une grande menace pour la survie des espèces que la chasse. De plus, la loutre n’est pas un animal domestique et n’est pas adaptée à la vie entre quatre murs. Il n’est pas rare que leurs propriétaires s’en débarrassent quand elles atteignent l’âge adulte et que leur nature sauvage prend le dessus. Dans la plupart des cas, elles développent des troubles du comportement.

Mais si la demande ne faiblit pas, le trafic continuera, ainsi que l’exhibition stressante d’animaux sauvages. D’où la nécessité d’informer le public sur les conséquences que certains bars à animaux laissent dans leur sillage. Malheureusement, le commerce est roi au Japon, et l’information à ces sujets pratiquement inexistantes. Plus que la curiosité envers un animal exotique, devrait avant tout primer la volonté de respecter l’animal en ne le privant pas de son milieu naturel.

S. Barret

 

 

 

 

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