Pour l’heure au Japon, un tatouage est légalement considéré comme un acte médical, du fait de l’utilisation d’aiguilles qu’il requiert. Le tatoueur doit alors détenir une licence de médecine, ce qu’évidemment aucun ne possède tant ces études sont spécifiques et laborieuses, repoussant leur travail à la clandestinité. Car cet artifice juridique est en fait une façon détournée de limiter le nombre de ces artistes dont l’Art est mal vu en société et historiquement associé aux yakuzas. Mais une décision de la Cour Suprême pourrait bien faire évoluer cette législation…

Dans un précédent article Poulpy était longuement revenu sur les origines du tatouage au Japon et l’évolution actuelle des mentalités chez les jeunes générations notamment influencées par l’occident. Pour nombre d’entre eux le tatouage, surtout quand il ne s’agit pas de l’irezumi traditionnel des yakuzas, n’a plus la connotation péjorative dont il était empreint par le passé (marquage des criminels à l’ère Edo, interdiction de modifier son corps prônée par le confucianisme). De plus avec les sévères lois anti-gang de ces dernières années, les yakuzas (dont le nombre plonge) sont de moins en moins nombreux à se faire tatouer par souci de discrétion. Peu à peu l’image du tatouage se dissocie de celle des criminels pour devenir un ornement esthétique. Par conséquent, les mentalités évoluent lentement à leur tour.

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Cette évolution fut aussi rendue nécessaire au niveau du gouvernement national alors que le pays a accueilli la Coupe du Monde de rugby 2019 et devait être (sera?) l’hôte des JO de Tokyo où de nombreux sportifs et supporters seraient tatoués. Il devenait nécessaire de mener des campagnes d’informations pour habituer les Japonais à la vue des tatouages, surtout que la réprobation, sans surprise, demeure forte chez les personnes âgées. Dès 2016 déjà les onsen qui traditionnellement refusent les personnes tatouées avaient été incités par les autorités à accepter les touristes tatoués dans leurs bains. Certains établissements se sont adaptés quand d’autres ont perpétué l’interdiction par principe, mais l’évolution est actée. Un assouplissement qui allait de pair avec l’objectif du gouvernement de miser sur le tourisme comme manne financière : celui-ci visait les 40 millions de touristes étrangers pour 2020 et 60 millions en 2030 (des objectifs devenus depuis obsolètes à cause de la crise du coronavirus).

De son coté le milieu du tatouage n’était pas resté inactif. Après avoir été condamné en 2015 à une amende de 150 000 yens (environ 1 200€) pour « violation des lois de la médecine », un tatoueur du nom de Taiki Masuda avait mis en ligne une campagne « Sauvez le tatouage ». Et surtout il s’était lancé dans un procès contre les autorités pour sauver son art que des tatoueurs ne pouvaient plus pratiquer qu’en s’exilant. Le verdict d’appel devant la Haute Cour d’Osaka rendu le 14 novembre 2018 lui a donné raison en statuant que le tatouage n’était pas un acte médical. La porte était ouverte pour que le tatouage soit reconnu comme un art et surtout que les tatoueurs puissent sortir de la quasi clandestinité où ils étaient obligés d’exercer.

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Ce qui semble être en bonne voie d’arriver avec le verdict rendu ce 17 septembre par la Cour Suprême du Japon. Celle-ci a statué qu’il n’était pas illégal de tatouer sans licence médicale, rejetant l’appel des procureurs publics concernant la poursuite engagée par Taiki Masuda. Cette décision confirme celle de la Haute Cour d’Osaka fin 2018 qui avait annulé le verdict du tribunal de district ayant condamné ce tatoueur à une amende de 150 000 yens. Ce faisant, la Cour Suprême s’oppose ainsi à la législation en vigueur. Une première historique appelée à faire date, bien que les lois ne soient pas encore adaptées.

En prenant le contre-pied de la loi actuelle, le juge président Koichi Kusano a aussi spécifié que de nouvelles lois devraient être élaborées dans le but de réglementer les risques potentiels pour la santé liés au tatouage. Bref, tout n’est pas encore gagné, il reste du chemin à parcourir avant de voir le tatouage totalement légalisé au Japon, mais avec cette brèche ouverte dans la législation, les tatoueurs japonais peuvent désormais espérer qu’une future réglementation soit établie en leur faveur et qu’ils cessent d’être perçus comme des criminels pour exercer leur art enfin librement.

S. Barret


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