Poulpy s’est déjà fait l’écho à plusieurs reprises du taux de natalité en berne au Japon qui a comme conséquence un vieillissement de la population : les plus de 65 ans représentent désormais plus de 25% du peuple nippon (avec les coûts importants qui pèsent sur la société en retraites, soins médicaux…) alors que dans le même temps la part des actifs baisse. Sur le long terme, on craint une diminution de la population japonaise de 30% d’ici 2065 si la situation ne change pas. Mais derrière la question complexe du faible taux de natalité se cache celle du désintérêt pour la sexualité et l’amour chez les jeunes générations. Un phénomène de société sur lequel on a décidé de se pencher aujourd’hui, en abordant d’abord la difficulté qu’ont les relations amoureuses à se former. Puis les formes de sexualité qui permettent aux Japonais de trouver du plaisir sexuel dans un second temps. Tout un programme…

Au Japon, la pression du travail dans une société encore marquée par un modèle patriarcal n’incite plus ni les hommes ni les femmes à se mettre en couple et encore moins à fonder une famille. À savoir que les naissances hors mariage sont toujours mal vues au Japon et du coup assez rares (moins de 2% des naissances contre 58% en France), le mariage est donc l’étape indispensable pour faire des enfants au Japon.

Les jeunes gens sont de plus en plus nombreux à rejeter le modèle de leurs aînés où le mari doit – parfois littéralement – se tuer au travail pour subvenir aux seuls besoins de sa famille et où l’épouse doit dans le même temps renoncer à une carrière professionnelle pour s’enfermer dans son foyer et veiller à l’éducation de ses enfants. Le tout, dans un contexte économique où un seul salaire ne suffit plus à subvenir aux besoins de plusieurs personnes.

Avec le développement des contrats précaires, nouveauté au Japon, beaucoup d’hommes préfèrent repousser le moment de fonder une famille pour être sûr de pouvoir l’assumer financièrement. D’autant plus qu’un salaire moyen n’y suffit souvent plus, contrairement à l’époque du boom économique de l’après-guerre. Des femmes choisissent, elles, de tirer un trait sur la maternité pour privilégier leur carrière. Sans compter que le coût très élevé de l’éducation d’un enfant rebutent les couples à en avoir plus d’un, chiffre insuffisant pour le renouvellement de la population.

Les enfants sont désormais une denrée rare au Japon. Source : flickr

En conséquence de quoi le nombre de célibataires explose et à l’inverse le nombre des naissances et des mariages baissent. Des études réalisées entre 2015 et 2016 révèlent ainsi que 70% des hommes et 60% des femmes non mariés du même âge sont célibataires, que le nombre de mariages a lui chuté de 30% en trente ans et que le taux de natalité est de 1,42 enfant par femme (contre 1,96 en France) alors qu’il doit être d’au moins 2,1 pour assurer le renouvellement des générations.

Aujourd’hui au Japon, les animaux domestiques sont plus nombreux que les enfants en bas âge, témoignage d’un transfert d’affection parfois bien nécessaire. Ces dernières années le gouvernement a pris des mesures pour encourager les citoyens nippons à procréer : instauration d’un congé parental pour les pères, financement de crèches, incitation au travail des femmes (qui continuent toutefois à faire face à de nombreuses discriminations), limitation des heures supplémentaires… Mais les résultats de ces politiques mettront plusieurs années avant de se faire sentir et de changer pratiques & mentalités. De plus ils ne prennent pas en considération le désamour pour la vie de couple et la sexualité d’une part non négligeable de la jeune génération qui ne va pas aider le taux de natalité à remonter. Un phénomène supplémentaire qui s’est développé les trente dernières années au point qu’en 2016 47,2% des adultes n’avaient pas de relations sexuelles régulières. Un nouveau courant s’est même développé autour du choix assumé de ne plus avoir de rapports sexuels : des hommes et des femmes à qui on a donné le nom d’herbivore. Le mythe que les japonais(es) sont « faciles » et ouverts au sexe par défaut tombe à l’eau. Que reste-t-il de l’empire des sens ?

Il faut aussi mentionner que, de part l’organisation de la société, hommes et femmes ont globalement du mal à se fréquenter et ce dès le plus jeune âge. Si l’école publique est mixte, les jeunes gens sont durant toute leur scolarité focalisés sur leurs études pour intégrer une université prestigieuse. Pour qu’ils restent concentrés sur cet objectif certains établissements interdisent même les relations entre les élèves. Après les cours qui finissent tôt l’après-midi, les clubs (ces activités extra-scolaires qu’il est tacitement recommandé d’intégrer) prennent le relais. Ce pourrait être l’occasion pour les deux sexes de se côtoyer et d’apprendre à se connaître, mais souvent garçons et filles ne se mélangent pas, chacun s’orientant naturellement vers une activité encore genrée : club de majorettes pour les filles, club de sport pour les garçons par exemple. Et les sorties du week-end (cinéma, shopping, parc d’attractions, bars) se font entre copines ou entre copains, chaque sexe de son côté une fois encore.

Sortie entre copines. Source : flickr

Résultat, quand Poulpy demande à un Japonais où il doit se rendre pour rencontrer des femmes, son interlocuteur ne sait le plus souvent pas quoi répondre. Les lieux de sociabilité sont rares. Et la communication globalement limitée parfois par timidité, parfois par respect des codes sociaux (chaque chose à sa place). Au final, des liens amicaux et amoureux entre hommes et femmes ont plus l’occasion de se nouer une fois arrivés à l’université où le rythme de travail est moins soutenu qu’au collège et au lycée. Mais à ce moment les Japonais ont presque une vingtaine d’années, et n’ayant jamais appris à se rapprocher ils ne savent comment s’y prendre ni quelles sont les attentes de l’autre dans le domaine amoureux.

De nombreux jeux-vidéo simulant des relations existent mais visiblement ils n’aident pas les jeunes Japonais à se lancer dans la vie réelle. Les hommes en particulier souffrent parfois d’un manque de confiance et craignent les femmes modernes « émancipées », à l’opposé de l’épouse soumise d’autrefois. Peut-être regrettent-ils l’époque où les mariages étaient arrangés et où les hommes allaient chercher leur plaisir dans les quartiers réservés ? En tout cas, de nos jours, nombreux sont les hommes japonais réticents à séduire une femme qu’il faudra écouter, aimer, avoir des activités (coûteuses) et à qui il faudra faire des cadeaux tout au long de l’année. Un stress supplémentaire souvent vécu comme un fardeau alors même que les temps libres sont rares. Par conséquent, cette catégorie d’adultes renonce à chercher une petite-amie fixe. Mais si l’envie de couple a disparu, les besoins sexuels demeurent.

Où est passé le romantisme au Japon ? Source : flickr

Après l’intermède des études universitaire les Japonais entreront dans le monde du travail qui à nouveau ne leur laissera que peu de temps libre. Il n’est alors pas étonnant que le choix d’un partenaire (ou du futur conjoint) se fasse sur son lieu de travail. Une récente enquête menée par Aikatsu, un site internet pour femmes célibataires entre 20 et 30 ans, révélait que 75% des femmes sondées avaient couché avec un collègue sans pour autant être en couple avec lui. C’est un chiffre élevé plutôt révélateur.

Pour tous les japonais qui n’ont pas encore totalement renoncé au sexe, les relations sont souvent éphémères tant l’idée de se mettre officiellement en couple peut rebuter en particulier chez les hommes qui devront en prendre la responsabilité économique. Des hommes qui sont également sévèrement jugés au regard de leur statut social et économique. Et quand le miracle se produit, l’arrivée d’un enfant signe déjà le glas des relations sexuelles dans le couple. Une situation de frustration qui pousse volontiers certaines personnes aux relations extra-conjugales. Les love-hôtels et clubs à hôtesses qui débordent chaque week-end d’hommes mariés en attestent. Des problématiques liées à la sexualité japonaise particulière que nous aborderons dans la seconde partie…

S. Barret


Photo d’entête : Idol Yurina Hirate. Sources : Enquête exclusive – Japon : le sexe et l’amour en criseLe sexe autour du monde – Japon / L’Empire des Sans (film de Pierre Caule par Kami Productions et France Télévisions), extrait / QUARKS : L’Empire Du Sexe Virtuel / wedemain.fr