Les langues des femmes se délient doucement au Japon et avec elles une foule de témoignages voient peu à peu le jour jusqu’à percer dans les médias japonais. C’est sur Twitter qu’une Japonaise a vu son commentaire devenir viral cette semaine. De simples mots qui font visiblement écho à de nombreuses autres victimes. On vous laisse en juger…

L’année passée, nous réalisions l’interview édifiante d’une Japonaise de 22 ans témoignant avoir été victimes d’attouchements sexuels plus de 5 fois dans sa courte vie, en particulier quand elle était étudiante et portait l’uniforme officiel de son école. Une « normalité » qu’elle avait décidé de ne plus tolérer ni de garder pour elle. Il suffit de questionner les Japonaises autour de soi pour réaliser que le phénomène est systémique. Pourtant, les chiffres officiels restent lacunaires. Pour cause, d’après les données du gouvernement japonais, 95% des viols ne sont pas signalés ! Et quand ceux-ci sont effectivement signalés, ils ne sont pas toujours pris au sérieux par les effectifs de police.

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Some trains in Japan have started using "women only" trains during rush hour to help combat the groping and harassment problem here — was pretty surprised to see it in action.  When I was in Tokyo a few months ago I saw on TV that the #metoo movement was just starting to happen in Japan.  This sort of thing would've been unthinkable even 5 years ago so it's a sign of how much progress the country has made in that area of things. Aside from Junichi "hey can I touch your boobs" Fukuda's allegations coming out, though, it's kind of hard to measure how things have changed in this area in the last few months.  But I do know that in the crypto space @aya_sf has the potential to become one of the most powerful women in the world in the near future, so that's something to keep an eye out for.  The world is always changing. https://www.scmp.com/week-asia/society/article/2168389/metoo-too-slow-japan-peeping-toms-come-under-spotlight #travel #instatravel #japan #tokyo #trains #sexualharassment #metoo #metoojapan #publictransit #ethereum #bitcoin #crypto #genderequality

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Ce flou qui entoure le phénomène laisse peu de place au débat public. Comme beaucoup de choses qui perturbent la bonne image du Japon, à l’étranger comme en société, elles sont passées sous silence, à l’image des Urisen, ces jeunes hommes japonais qui se prostituent. Du moins, jusqu’il y a peu. Car depuis quelques mois on observe un certain vent émancipateur au Japon. Les langues se délient grâce à l’impulsion de stars, de personnalités médiatiques fortes mais aussi d’une foule d’utilisatrices sur les réseaux sociaux japonais. Et, contrairement à ce que certains commentateurs étrangers pensent, cette évolution vient de l’intérieur même du Japon, d’un ras le bol d’une large partie de la population.

C’est dans ce contexte que le « Tweet » d’une japonaise plusieurs victime de « chikan » a retenu l’attention de nombreuses personnes. Chikan, c’est le terme officiel au Japon pour désigner un attouchement non-consenti sur un autre individu dans un contexte sexuel et pervers. En pratique, certains hommes posent directement leur main sur les parties génitales d’une femme dans un lieu public, d’autres se collent lourdement contre elles dans le métro jusqu’à souvent avoir une érection, certains allant jusqu’à se masturber.

Le plus souvent, les étudiantes en uniforme en sont les victimes, mais aucune femme n’est épargnée. Le phénomène est tellement banalisé que certaines lignes de métro à Tokyo proposent des zones réservées aux femmes aux heures de pointe. Le chikan est officiellement considéré comme une agression sexuelle à part entière au Japon et de nombreux écriteaux rappellent que ce type de comportement est interdit. Mais ces palliatifs ne semblent pas stopper le phénomène.

Affiche de vigilance contre les pervers dans le métro de Tokyo.

Dans son Tweet, l’utilisatrice anonyme @7bo8rtWwXXl8GdE explique : « Après avoir terminé mes études au collège, je n’étais plus officiellement une étudiante, donc je ne devais plus porter l’uniforme scolaire. Dès que c’est arrivé, la fréquence des attouchements sexuels a drastiquement chuté. Et quand je l’ai réalisé, j’étais soudainement remplie de désespoir. » Elle recommande donc aujourd’hui de ne simplement plus porter ces uniformes !

« En effet, les « chikan » savent que le fait de porter un uniforme scolaire signifie que la fille est légalement mineure, et il est dingue de voir comment, dans ce pays, un simple uniforme est devenu un symbole faisant de celle qui le porte la cible de ce type de comportement ». précise-t-elle. Ne plus porter d’uniforme règle peut-être le problème individuellement, mais ceci fait indirectement porter la culpabilité sur la fille sans vraiment régler un problème devenu sociétal.

Le Tweet devenu viral

Une constatation qui avait également été soulignée dans le livre-confession Tchikan de Kumi Sasaki. Pour elle, il n’y a pas de doute possible, l’uniforme crée une situation de légitimation des attaques sexuelles. Non pas que l’habillement en lui même justifierait l’agression, mais bien qu’un symbole de jeunesse – de non-maturité légale – soit perçu par les pervers comme un justificatif à autoriser une agression. Face à ce constat, de nombreuses Japonaises vont alors apporter spontanément leur propre témoignage et avis.

« Ils pensent sans doute que, au prétexte qu’elles sont mineures, elles ne vont pas réaliser ce qu’il se passe et vont rester calme, rentrer chez elles et pleurer seules dans leur lit. » explique une internaute. « C’est à cause des personnages des mangas pornographiques (hentai) et des vidéos pour adultes où les actrices sont souvent des collégiennes. Il faudrait les bannir! ». estime une autre. « Il y a vraiment des types bizarres dehors qui ont de sérieux complexes avec les étudiantes et les lolitas » exprime une troisième. Des milliers de réactions qui forment une voix, celle d’un ras le bol général.

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❄️ Re-bonjour Instagram ❄️ Je suis arrivée, ce matin, à la moitié de ma lecture du livre "Tchikan" d'Emmanuel Arnaud et Kumi Sasaki ?? C'est dommage que ce livre ne soit pas plus connu (personnellement je ne l'ai jamais vu sur les réseaux sociaux) car c'est un témoignage bouleversant, écœurant par ce qui est fait, et horrible dans le sens où l'on cache ces actes pervers et malveillant! Je remercie donc le Nouveau Magazine Littéraire (@le_nml ) de m'avoir fait découvrir ce livre dont je continue la lecture! #bookstagram #bookstagrammer #livrestagram #livrestagrammeuse #lecture #livre #temoignage #lectureencours #lecturedumoment #tchikan #emmanuelarnaud #kumisasaki #editionsthierrymarchaisse #moitie #avis

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L’uniforme sexy : une invention bien moderne

Quand on voit ces images de jeunes gens en uniforme bleu marine, on pense rapidement à la culture japonaise. Pourtant, le port de ce type d’uniforme « sexy » à l’école n’est pas le fruit d’une longue tradition japonaise. C’était évidemment le kimono, plus proche du corps, qui fut longtemps porté autant par les jeunes filles que les femmes adultes. Avec l’entrée dans l’industrialisation, la société va se tourner peu à peu vers des vêtements plus amples et plus faciles à porter. C’est dans ce contexte que le sailor fuku, littéralement « uniforme de marin », fut introduit au Japon à l’Université Fukuoka Jo Gakuin en 1921 sous l’influence occidentale. Il fut conçu sur le modèle de l’uniforme militaire de la Royal Navy. Il faudra de nombreuses années pour qu’il se généralise au Japon tout entier sous l’impulsion de décideurs dont la vision militariste et impériale du Japon était très forte.

Bien qu’il soit devenu un symbole moderne de l’univers de la pop-culture japonaise après la guerre, cet uniforme n’a rien de véritablement traditionnel. Avec le temps, le sailor fuku va prendre diverses formes et couleurs. Surtout, la taille de la jupe semble se raccourcir fortement selon les collèges sous l’impulsion de certaines directions (majoritairement contrôlées par des hommes, ne nous en cachons pas). Sans surprise, ces vêtements scolaires portés par des mineures font aujourd’hui l’objet d’un fort fétichisme au point où des pièces de seconde main peuvent se négocier à prix d’or dans des commerces underground nommés burusera. Quant à ceux qui en ont les moyens, ils n’hésitent pas à dépenser des fortunes pour se payer la compagnie d’étudiantes, parfois même avec un rapport sexuel tarifé.

Photographie par Mr Japanization. Tous droits réservés.

Vu que vous êtes là… Remerciez l’équipe pour ce travail d’investigation par un simple thé matcha sur sur Tipeee ! どうもありがとうございます



L’uniforme de « salary-woman » également concerné

Une adulte précise néanmoins, en commentaire, que l’uniforme de salary-woman jouerait également ce rôle. « Quand j’ai quitté le collège et arrêté de porter l’uniforme, je n’ai plus eu de problème d’attouchements sexuels, jusqu’au jour où j’ai commencé à chercher un travail et porté l’uniforme pour les entretiens d’embauche. Là, j’ai à nouveau été la cible de chikan. » Les « salary-women » sont donc aussi victimes de ces attouchements. Dès lors, le problème n’est pas seulement l’uniforme, mais surtout celui d’un comportement illégal mais largement toléré, d’une certaines vision des femmes profondément enracinée dans certains esprits. La femme, enfant, étudiante ou adulte, semble systématiquement sexualisée. Et ce n’est pas nécessairement la faute au vêtement en lui-même, mais bien aux individus responsables du chikan et à une société toute entière qui considère beaucoup trop les femmes comme des objets sexuels au service des hommes.

Sur Twitter, des japonais s’échangent des images volées de petites culottes

Face au succès de son Tweet, l’utilisatrice japonaise @7bo8rtWwXXl8GdE a pris le sujet à bras le corps. Elle expose notamment, à l’aide de captures d’écran, que des pervers utilisent des hastag « secrets » pour signifier sur les réseaux sociaux qu’ils possèdent des photographies illégales prises sous les jupes des jeunes filles et femmes dans le métro où les escalators. Ceci permet d’alimenter les échanges de photographies entre pervers. Certains se font ainsi une véritable collection d’images volées sous les jupes. Mais l’entreprise Twitter ne réagit pas à ce trafic, explique la japonaise, pas plus que les autorités. Une pratique tout aussi criminelle que l’attouchement. Elle rappelle, à toutes fins utiles, que parmi les détenus emprisonnés pour viol / obscénité / agressions sexuelles, on trouve au Japon 99,68% d’homme ♂ pour 0,31% ♀ de femmes.


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