“Âgée de 20 ans, qu’elle est fière de ses cheveux flottant sous le peigne. Elle est naturellement belle, au printemps de sa vie.”. Ce poème d’Akiko Yosano est empreint d’un féminisme insoupçonné à première vue. Et pourtant, on en comprend mieux la portée lorsque l’on sait que son auteur l’a écrit au XIXème siècle, un temps où la société attendait des Japonaises qu’elles soient discrètes, silencieuses, se consacrant uniquement à leur foyer et l’éducation des enfants dans l’ombre d’un époux en guise de socle économique. La vie d’Akiko Yosano (1878-1942) fut marquée par son génie poétique tôt reconnu et son engagement envers les femmes qui en fit la première féministe japonaise. Portrait.

La notoriété d’Akiko Yosano arrive soudainement en 1901, à la publication de son recueil de 399 poèmes « Cheveux emmêlés » (Midaregami). À 23 ans à peine, elle s’imposait comme une poétesse renouvelant le genre des tanka (un sous-genre du poème waka à trente et une syllabes), leur conférant une inédite et audacieuse sensibilité féminine pour l’époque. Le romantisme nouveau qui y transparaît marque l’amour naissant d’Akiko pour l’homme qui deviendra son mari la même année. Extrait :

Court est le printemps,
Qu’y a-t-il dans la vie
Qui soit immortel?
Et j’autorisai sa main
Sur la rondeur de mes seins
Ignorant la Voie
Insouciants de l’avenir
Méprisant la gloire,
Seuls ici s’aimant d’amour
Toi et moi nos deux regards

Rien ne la prédestinait pourtant à une célébrité qui ne la quittera plus, et même après sa mort. Elle est née en 1878 à Sakai dans une famille de commerçants qui possédait une confiserie où elle travaillera dès l’âge de 10 ans. Une responsabilité qui lui fera souvent manquer l’école. Néanmoins sa curiosité naturelle la pousse à s’intéresser à la littérature classique présente dans la bibliothèque familiale et l’influence de son frère aîné l’oriente vers la lecture de revues littéraires. Elle forme ainsi très jeune son goût et son futur style.

À 16 ans, Akiko quitte le lycée diplômée pour travailler à la boutique familiale. Elle n’a toutefois pas délaissé son intérêt pour la littérature. Si durant la journée elle s’occupe de la confiserie, ses soirées sont consacrées à la lecture ou à l’écriture de poèmes waka qu’elle fait parvenir à des magazines littéraires. Elle participe également à des compétitions de poésie et c’est lors de l’une d’elles, en 1900, qu’elle rencontre Tekkan Yosano, lui aussi poète. Les jeunes gens tombent amoureux l’un de l’autre et se marieront en 1901. Entre temps, Akiko aura publié des poèmes dans une revue tenue par Tekkan puis sera propulsée sur le devant de la scène littéraire avec « Cheveux emmêlés ».

Ce recueil sera applaudi unanimement par les critiques, ses accents sensuels et érotiques deviendront un modèle pour les futures générations de poètes japonais. Son assurance, sa franchise et sa confiance en elle-même qu’on décèle dans son œuvre tranchent avec la fragilité, la timidité et l’hésitation de ses homologues masculins. Son talent dépasse même celui de son mari qui accepte que sa femme subvienne désormais aux besoins de la famille, marquant une rare ouverture d’esprit pour l’époque.

Statue de bronze à la station Sakai dans la ville du même nom Source : Wikimedia Commons

En 1911, elle devient la marraine d’une revue littéraire entièrement conçue par des femmes et au ton résolument féministe « Les Bas Bleus » (Seitô). Dans ses poèmes, elle montre son engagement en brisant tous les tabous entourant la maternité et de l’accouchement (voir son poème « Douleurs de l’accouchement »), elle qui aura douze enfants avec son époux dont onze survécurent.

Akiko voyage en Europe et rejoint son mari à Paris en 1912. Tout en rédigeant un recueil de poèmes « De l’été à l’automne » elle se tourne vers le journalisme pour écrire sur la condition de la femme. Elle écrit notamment pour « Le Journal de Paris », où ses réflexions se nourrissent de son voyage en Europe pour analyser la condition des femmes et l’avancée du féminisme tant en Occident qu’au Japon. Ses propos sur la prostitution (qu’elle condamne) remarquée à Paris ne manqueront pas de lui attirer des critiques. À noter que, contrairement aux croyances populaires et autres théories du complot, les notions de féminisme qui se développent alors au Japon n’ont rien d’une influence occidentale. Partout à travers le monde, le même souhait d’émancipation fait peu à peu son chemin, à des vitesses singulières, le Japon ne faisant pas exception.

De retour au Japon en 1914, elle s’engagera plus avant dans la voie féministe en se positionnant pour une éducation des filles à égalité avec celle des garçons et pour le droit de vote des femmes en 1915. C’est à dire, permettre aux deux sexes d’avoir accès aux mêmes chances, aux mêmes droits et devoirs en société. Très avance sur son temps, Akiko plaide pour l’indépendance financière des femmes et l’engagement des hommes dans l’éducation des enfants. Mais son engagement ne l’empêchera pas de se trouver en désaccord avec des féministes radicales lui reprochant de ne pas s’intéresser à l’injustice sociale de l’époque.

En parallèle de sa carrière de poète et de son engagement féministe, elle décroche un poste d’enseignante à l’Université en 1919 et fonde en 1921 avec son mari l’Institut culturel de Tokyo (Bunka gakuin), le premier établissement japonais mixte où elle enseigne la littérature et soutient l’idée d’une éducation favorisant l’épanouissement de la personnalité.

Outre un engagement féministe marqué tout au long de sa vie, dans sa jeunesse, elle avait aussi montré son opposition à la guerre et au nationalisme aveugle à travers un poème publié en 1904, en pleine guerre russo-japonaise. On connaît la suite de l’histoire et le choix malheureux de la nation japonaise au nom d’un pseudo patriotisme guerrier qui fera leur perte. Son opinion sera très mal vue en ces temps de guerre, d’autant plus dans un Japon toujours impérialiste en pleine propagande colonialiste. « Ne donne pas ta vie » est dédié à son frère cadet, marié et bientôt père, appelé à combattre. Elle ose y interpeller l’Empereur en personne pour affirmer son refus de la guerre. Pour avoir exprimé cette opinion pacifiste, elle devra faire face aux menaces de nationalistes et de conservateurs. Extrait :

Oh, mon frère, je pleure pour toi
Ne donne pas ta vie
Le dernier enfant parmi nous
Tu es le plus bien-aimé par mes parents
T’ont-ils fait empoigner l’épée
Et enseigné de tuer?
T’ont-ils élevé jusqu’à 24 ans
En disant de tuer et mourir ?

Toutefois, son opposition à la guerre trouvera ses limites lorsqu’au début de la Seconde Guerre Mondiale, elle encouragera son propre fils à se battre bravement. Comme la plupart de ses compatriotes, elle cédait à son tour à la vague du patriotisme qui avait déferlé sur un Japon plus belliqueux que jamais. Un changement de cap radical qui peut s’expliquer éventuellement par son âge alors avancé et la grande efficacité de la propagande gouvernementale pour générer de la haine envers le reste du monde.

Plaque commémorative sur le campus de l’université de Chiba

Source : Wikimedia Commons

En 1942, âgée de 63 ans, Akiko Yosano décède accidentellement d’un AVC en pleine guerre du Pacifique. À la fin de sa vie, son œuvre compte pas moins de 50 000 tanka et des centaines de vers libres regroupés dans vingt-sept recueils. Elle fut aussi l’auteur d’une traduction moderne du « Dit du Genji » (roman majeur de la littérature japonaise écrit au XIème siècle par Murasaki Shikibu), d’une autobiographie romancée ainsi que de contes pour enfants. Elle est considérée comme la plus grande poétesse moderne du Japon et la première figure nippone du féminisme qu’elle a promue via ses poèmes engagés et ses prises de position journalistiques. À Sakai, un musée retrace l’histoire de sa vie et expose certains de ses manuscrits, des temple (le Shochuzan Kakuoji) et sanctuaire (Aguchi) ayant comptés dans sa vie lui rendent également hommage.

S. Barret

 


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Sources : voyapon.com / lesbelleslettres.com / bulledemanou.com / culturejaponaise.info /