Alors que l’épidémie de Covid-19 connaît un regain de propagation dans l’archipel, le nombre d’entreprises en faillite s’établit à 1.238 rien qu’en juillet et les perspectives économiques restent toutes aussi préoccupantes. À cela s’ajoute de nombreux facteurs exogènes (catastrophes naturelles, guerres commerciales…), un déclin démographique et une dette publique record. Le gouvernement japonais tente, non sans mal, de repenser un nouveau modèle économique, voire de société… Le point.

Un Japon toujours troisième puissance économique mondiale

Malgré les bouleversements qu’a connu et que connaît toujours le pays, celui-ci reste toujours une puissance économique et financière incontournable. La résilience dont fait preuve l’économie nipponne trouve sa source dans le long essor économique, pré-coronavirus, qu’elle a enregistré. L’archipel a bénéficié de 71 mois consécutifs de croissance économique. En effet, le boom économique avait commencé en décembre 2012 pour prendre fin en octobre 2018, notamment du fait de la guerre commerciale menée entre les États-Unis d’Amérique et la République populaire de Chine. Cette période d’expansion économique était devenue la deuxième plus longue de l’après-guerre, s’inscrivant juste après le record de 73 mois consécutifs de croissance, réalisé entre 2002 et 2008, ayant pris fin en raison de la crise financière des subprimes mais dépassant néanmoins la période 1965-1970 qui avait duré, à l’époque, 57 mois.

Avec un PIB nominal proche de 5 000 milliards de dollars l’année dernière, le Japon reste donc dans le trio des puissances économiques mondiales derrière les États-Unis et la Chine. Selon le Service Économique Régional de Tokyo « le pays affiche le 2ème excédent courant au monde et dispose d’un patrimoine financier domestique exceptionnel : 28 000 Mds US$ d’actifs financiers (600% du PIB), détenus par les ménages et entreprises privées et investis en priorité au Japon. Enfin, le pays se classe au 6ème rang mondial en termes d’investissements directs à l’étranger ».

Cela dit, le pays du Soleil-Levant est officiellement entré en récession au premier trimestre 2020. La situation économique du Japon s’est détériorée et continue de fléchir. Les principales causes de cette crise sont dues à la pandémie du Covid-19, à l’affaiblissement des exportations nipponnes en raison de la diminution de la demande extérieure et au conflit commercial qui oppose Washington à Pékin.

Une puissance mise à mal par une crise plus importante que les chocs « Lehman Brothers » et pétrolier

Les conséquences économiques et sociales de la pandémie du Covid-19 sont perceptibles depuis février 2020 : diminution significative du tourisme, effondrement des importations le mois d’après, état d’urgence déclaré au Japon pour la période du 7 avril au 25 mai qui sera à l’origine d’une baisse significative de la consommation des ménages et de la production des entreprises. Le Japon réputé pour son taux de chômage très bas va soudainement en faire la découverte structurelle.

D’après le Ministère de la Santé, du Travail et des Affaires sociales, le ratio emploi/candidat est passé de 1,20 en mai à 1,11 en juin atteignant ainsi son niveau le « plus bas depuis octobre 2014 ». Le ratio emploi/candidat de 1,20 signifie qu’il y avait 120 offres d’emploi pour 100 demandeurs d’emploi. Le taux de chômage actuel s’établit autour de 2,8%. Taux qui pourrait, pour les économistes les plus optimistes, approcher les 4% à la fin de l’année. Ryomaru Kumagai, économiste à la Yamato Research Institute, estime que le taux de chômage montera à 6,7% en l’absence de « mesures économiques adaptées » en cas d’une deuxième vague épidémique ou d’une autre force majeure aux conséquences similaires.

À cela s’est ajoutée une demande nationale et internationale qui s’est effondrée. Si l’on regarde la courbe de l’indice de la production industrielle, il a atteint un creux en mai dernier mais il ne s’est pas remis de cela. D’autres défis structurels s’ajoutent comme par exemple avec le vieillissement de population japonaise ou encore avec la colossale dette publique de 240% du PIB que seule une forte croissance peut espérer résorber.

Selon Tokihide Kiuchi, économiste à l’Institut de recherche Nomura, une fois que la crise sera passée, et à condition qu’elle soit réglée au plus tard à la fin du second semestre de l’année 2020, il faudra « environ cinq ans pour revenir aux chiffres du PIB d’origine ». Est-ce nécessairement une bonne chose ? Du point de vue économique et social, certainement. Du point de vue écologique, ça se discute ! Cette autre crise, aux perspectives inquiétantes à long terme, étant profondément liée aux activités humaines et à la croissance de nos consommations/productions. Cependant, tout est fait pour relancer la machine économique.

Des programmes destinés à stimuler la croissance économique

Alors que la pandémie persiste, les banques nipponnes ont prêté à un rythme record en juillet et les créanciers régionaux continuaient d’augmenter les prêts aux petites entreprises. Les statistiques de la Banque centrale du Japon (Nippon Ginko) font état d’un total de prêts des banques qui a augmenté de 6,3% en juillet par rapport à l’année précédente, atteignant un record de 572,7 billions de yens (4 550 milliards d’euros) et d’une augmentation des prêts de 5,1% pour les banques régionales.

À noter que les prêts des institutions financières privées aux entreprises à court de liquidités sont soutenus pas des garanties étatiques, générant une pression supplémentaire sur la collectivité.

Ensuite, de nombreux dispositifs de relance ont été élaborés. Au niveau national par exemple, le gouvernement avait mis en place un vaste plan de relance économique de 110 milliards d’euros bien avant la pandémie. Ce plan a été complété en avril puis mai 2020 par deux plans d’urgence Covid-19. La somme totale est gigantesque puisqu’elle correspond à 40% du PIB dont 10% directement alloués sous forme d’une aide de 100 000 yens, l’équivalent de 853 euros, à chaque résident(e) du Japon. En parallèle, le gouvernement a lancé des campagnes, comme la controversé « Go To Travel » favorisant le tourisme domestique, destinées à stimuler l’économie japonaise.

Les autorités locales ne sont pas en reste. Afin de revitaliser l’économie des territoires, de nombreuses villes se sont engagées à vendre des chèques-cadeaux abordables qui ne peuvent être utilisés que dans leur propre ville.

Les récentes dépenses des ménages signalent déjà une reprise de la consommation. Les mesures budgétaires, les aides financières et la levée de l’état d’urgence le 25 mai dernier ne sont pas étrangers à cette reprise de la consommation. Les dépenses des ménages sont un indicateur clé et primordial de la consommation privée puisqu’elles représentent plus de la moitié du PIB du Japon.

Satsuki Katayama, Présidente par intérim du Bureau des Affaires générales du Parti libéral-démocrate et ancienne Ministre de la Revitalisation Régionale, a confirmé cette semaine que le pays était entré depuis peu dans une « faible » phase de dépression. Ce qui redonne de l’espoir à une reprise de la croissance économique même si elle a précisé que « nous ne pouvons pas nous attendre à une reprise de la croissance économique en forme de ‘’V’’ ». On notera enfin que personne, encore moins au Japon, ne questionne les fondements économiques modernes qui reposent sur la croyance qu’une croissance infinie dans un monde fini est possible.

Jordan MEHRAZ / Mr Japanization


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