Depuis sa création en juin 1985, le Studio Ghibli, grande figure de l’animation japonaise, a toujours été considéré comme innovateur et avant-gardiste. Il faut croire qu’Hayao Miyazaki avait décidé de cette ligne directrice à la création du Studio. Il avait personnellement choisi son nom en référence au Caproni Ca.309² Ghibli, un avion de reconnaissance italien utilisé pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est clair qu’il avait voulu donner à son travail ce rôle d’éclaireur, de pionnier qui caractérise aujourd’hui tant le Studio. Depuis 30 ans, leurs animations dénoncent les dérives d’un monde autour des thèmes de l’écologie, la violence liée à la guerre ou encore l’avancée technologique incontrôlée. Plus flagrant encore, le rôle important qu’ils accordent aux femmes les distingue des autres studios d’animation. Plongeons ensemble dans l’univers de Miyazaki et sa vision de l’émancipation des femmes.

Historiquement parlant, la présence de la femme « héroïne » dans les films d’animation reste récente et limitée. Comme c’est encore le cas dans certains animés d’aujourd’hui, leur rôle s’arrêtait souvent à l’incarnation d’un certain stéréotype féminin japonais ou étranger, et cela à travers des schémas manichéistes. Le personnage féminin devait rentrer dans un schéma précis, une caricature facilement compréhensible pour le lecteur : belle ou laide, gentille ou méchante, sage et soumise ou femme fatale, si possible, avec des formes… Leurs caractéristiques se heurtaient à un mur assez rapidement, en faisant des personnages très plats, passifs, loin du réel.

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Extrait de Princesse Mononoké

Avec Nausicää de la Vallée, sorti en 1983, le studio Ghibli vient balayer ces clichés et apporter un vent de fraîcheur en matière de personnages féminins. Premièrement, le rôle principal d’un animé visant un public large (et non pas un sexe en particulier) se voit être donné à une femme, une rareté dans le monde de l’animation. Cette œuvre incarne aussi une des premières fois où une femme se voit attribuer des caractéristiques considérées dans la société patriarcale comme « viriles » : Nausicää est forte, indépendante, débrouillarde, combattante et domine même certains personnages masculins plus âgés qu’elle.

Le Studio Ghibli, et particulièrement Miyazaki en personne, va reproduire cette inversion du rapport de domination fortement présent dans la société japonaise à presque chacun des animés suivants. Que ce soit la Princesse Mononoké, Nausicää ou des personnages secondaires tels que Dame Eboshi, la Reine … ou la Princesse Kushana, elles sont toutes des femmes indépendantes et fortes qui sont au contrôle de leur vie. La hiérarchie traditionnelle japonaise (voire mondiale) est donc renversée offrant une autre perspective plus équilibrée. Car aucun personnage ne fait preuve de misandrie gratuite. Une inversion qui n’a pas empêché le succès national et puis mondial de ces œuvres.

Cela s’explique aussi par le fait que le Studio Ghibli et Miyazaki identifient souvent leurs personnes à la figure de la Mère, incarnant l’autorité et infantilisant de la même manière les personnages masculins. Ainsi, les hommes (sauf exception) sont souvent tournés en dérision dans leurs films d’animation ou tiennent des rôles secondaires. Quand ils jouent un personnage important, ils restent relégués à un rôle de soutien, une aide, une simple épaule. Un rôle habituellement attribué, dans l’imaginaire collectif, à la femme japonaise.

Cependant, il ne faut pas se méprendre : les personnages féminins de Miyazaki ne tentent pas de devenir des hommes ni de les mépriser. Malgré ce détournement du rapport de force, les « femmes de Miyazaki » n’en conservent pas moins des valeurs fortes et humaines. La compassion, l’amour, la tolérance, le pacifisme, le respect sont des atouts récurrents chez ces personnages. La leçon, c’est précisément qu’il n’est pas nécessaire de séparer ces attributs, que l’humain peut être à la fois fort et bienveillant. Ainsi, elles ne rentrent dans aucun cliché antagoniste, pour être simplement elles-mêmes, dans un équilibre serein qui force le respect.

Elles auront peut être besoin d’un ami, ou d’un soutien, mais en aucun cas d’un sauveur. – H.Miyazaki

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Dans une interview accordée au Guardian en 2015, Hayao Miyazaki avait déclaré : « Beaucoup de mes films comportent des personnages féminins forts. Des filles courageuses et indépendantes. Elles auront peut être besoin d’un ami, ou d’un soutien, mais en aucun cas d’un sauveur. Les femmes sont capables d’être de vrais héros, tout autant que les hommes ». Quand on ne les voit pas dominantes, elles s’affranchissent de l’autorité patriarcale, comme dans Ponyo sur la Falaise ou dans le Château dans le ciel. En dépit de leur récente collaboration, on réalise toute la fracture qui existe entre un Disney (qui s’améliore dernièrement) et l’univers Ghibli sur cette question…

Par cette émancipation, le Studio Ghibli diversifie la représentation des femmes dans l’animé : elles sont princesses, guerrières, sauvages, civilisées, magiques, ordinaires, vieilles, jeunes, porte-paroles d’un autre monde, mères dominantes ou filles indépendantes. Non-cloisonnées à une fonction prédéterminée par la société, voilà les femmes libres et plurielles. Les récentes productions n’échappent d’ailleurs pas à la règle. Ronya, fille de brigand, la toute première série télévisée supervisée par le Studio Ghibli, présente les aventures d’une toute jeune fille intrépide qui devra faire preuve de courage pour ramener le paix en son pays.

Extrait du Voyage de Chihiro (notre préféré).

Leur représentation physique est tout aussi intéressante. Contrairement à l’image qu’on se fait des animés japonais classiques, leur silhouette est généralement beaucoup moins mise en valeur. Les formes des femmes sont peu présentes, les vêtements sont souvent larges, leurs cheveux ne sont pas flamboyants et leurs yeux pas immenses. Cela peut certes s’expliquer entre autres par l’idéal traditionnel de beauté japonais, mais pas uniquement. Le Studio Ghibli ne cherche à renvoyer à aucune image de beauté fantasmée afin de mettre en valeur leurs capacités intellectuelles et leurs esprits avant tout. Ce qu’elles sont ne se limite pas à leur apparence !

Détail intéressant, on constatera que Chihiro est beaucoup critiquée sur son physique dans l’animé par les autres personnages. Cette approche d’apparence contradictoire choisie par les réalisateurs permet d’anticiper les critiques du spectateur pour s’émanciper de la pression du public et porter l’attention sur son intellect : ce qu’elle est n’est pas visible. De même, les caractéristiques physiques des différents personnages sont beaucoup plus diversifiées que dans l’animation japonaise en général mais aussi que dans le cinéma occidental. Quand beaucoup de studios se cantonnent à une héroïne sexy ayant la petite vingtaine, le Studio Ghibli met en scène autant des bambins que des personnes âgées. Chaque personne composant la société peut y trouver sa place ! Les personnages sont donc plus réalistes et possèdent une réelle quête spirituelle mise en valeur. Miyazaki avait déclaré qu’elles sont toutes des filles « courageuses et indépendantes, qui n’hésitent pas une seule seconde à se battre avec tout leur cœur pour ce en quoi elles croient ».

Ainsi, en choisissant de représenter les femmes à tout âge et dans toutes situations possibles, le Studio Ghibli, et particulièrement Miyazaki, tente de mettre en valeur l’émancipation de la femme dans une société toujours très patriarcale. Quand on connaît le succès de ces productions, nul doute que ces valeurs participent, même à petite dose, aux évolutions des consciences et comportements. Merci Monsieur Miyazaki !

S.Grouard & David Kens


Sources : wiki / memoireonline.comlecinemaestpolitique.fr