Le Japon est le second plus gros producteur de plastique au Monde. Il aura fallu que la Chine refuse d’importer les déchets japonais et que les décharges municipales se remplissent à vue d’œil pour que la question de la pollution plastique commence à se poser sérieusement pour les autorités japonaises. Début juin, le gouvernement a annoncé sa volonté de s’attaquer aux sacs plastiques distribués gratuitement dans les magasins. Une solution de surface qui ne règle en rien une problématique profondément systémique. Le point.

Parmi les annonces déjà faites par les autorités, le ministre de l’Environnement avait annoncé en octobre dernier vouloir diminuer de – seulement – 25% la quantité de déchets plastiques jetables dans l’Archipel d’ici 2030 et de mettre en avant des bio-plastiques écologiques fabriqués à partir de plantes. Un plan qui semble manquer d’ambition au regard de la crise écologique alors que les entreprises restent libres d’utiliser abondamment du plastique conventionnel.

Plus localement, le maire de Kameoka, ville de 89 000 habitants dans la préfecture de Kyoto, a proposé en décembre 2018 une ordonnance interdisant la distribution des sacs plastiques à usage unique comme ceux distribués (généreusement) dans les supermarchés. Mais il s’agit d’une initiative locale, qui, seulement si elle est approuvée par le conseil municipal, ne rentrera pas en vigueur avant 2021.

Une carotte dans du plastique, la routine au Japon.

Des mesures incertaines qui concernent donc toujours le futur – sans garantie d’application – alors que le problème est déjà plus que présent autour de nous et que des actions efficaces doivent être menées dès maintenant, si on prend la peine de tendre l’oreille aux scientifiques. Les autorités japonaises sont en effet frileuses à l’idée de contraindre brusquement leurs concitoyens et entreprises, préférant faire évoluer lentement les mentalités pour changer les habitudes de consommation plutôt que les institutions. D’autant qu’une telle mesure serait culturellement impopulaire, avec des conséquences politiques pour celles qui prendraient de telles décisions. Mais les faits sont têtus : l’urgence écologique est à nos portes et il semble illusoire d’attendre que des dizaines de millions de consommateurs daignent subitement changer de comportement pour adopter du jour au lendemain une attitude éco-responsable après des décennies d’un quotidien où le plastique est omniprésent. Ceci n’a pas fonctionné en Europe, ceci ne fonctionnera pas en Asie.

Nouvelle annonce « fantôme » en juin dernier. Lors d’une conférence de presse, le ministre de l’Environnement, Yoshiaki Harada, a annoncé que son ministère étudie une loi pour interdire la distribution de sacs en plastique gratuits dans les magasins. Alors qu’on imaginait déjà la fin des sacs plastiques, cette mesure ne les fera pas disparaître… Car les sacs plastiques seront toujours présents, ils deviendront juste payants (quelques yens supplémentaires sur le ticket de caisse), le prix étant laissé à l’appréciation de chaque commerçant. Par ailleurs, les petites et moyennes entreprises ne sont pas concernées par cette loi (dans un premier temps seulement). Au quotidien, les sacs continueront d’être excessivement utilisés, à la différence que les consommateurs devront en payer le prix. Un coût cependant tellement faible qu’il passera inaperçu et ne devrait pas provoquer de changement majeur dans les comportements.

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Les autorités ne s’en cachent mêmes pas. Il s’agit d’une mesure symbolique de l’aveu même de Yoshiaki Harada, les sacs plastiques ne représentant qu’une faible part des déchets plastiques totaux (ce qui n’est toutefois pas une raison pour ne pas les interdire sans condition). Le ministre déclarant que « Nous devrions le faire à temps pour les Jeux olympiques de Tokyo ». L’objectif du ministère semble donc clair pour qui sait lire entre les lignes. Il s’agit avant tout d’une politique de greenwashing destinée à polir l’image du Japon à l’internationale en vue des J.O. de 2020.

Rappelons que le Japon est le second plus gros producteur au monde de plastique par habitant derrière les États-Unis. Ce ne sont pas quelques mesures « cosmétiques » qui permettront de lutter efficacement contre la pollution démentielle engendrée par cette matière d’origine pétrolière. Chaque année, ce sont 8 millions de tonnes de plastique qui sont déversées dans les océans, contaminant toute la faune et la flore et arrivant en bout de course dans notre assiette lorsque nous consommons des poissons ayant ingérés des micro-plastiques. Et le tri des déchets est tout simplement insuffisant pour endiguer le phénomène.

Source : flickr

De plus, on notera que le ministère se défausse sur les commerçants pour fixer le prix des sacs plastiques, recommandant de les facturer de quelques yens à une dizaine de yens. Officiellement, le ministre souhaite que le prix soit dissuasif, ce qui nous laisse perplexe : pourquoi le ministère ne fixerait-il pas lui-même le tarif ? et surtout pourquoi ne pas bannir purement et simplement les sacs plastiques au profit d’alternatives écologiques ? À seulement 10 yens le sac plastique, un prix dérisoire comparé au salaire moyen qui avoisine les 285 000 yens, on se demande combien de Japonais refuseront cette dépense pour conserver leurs habitudes confortables de consommation…

Le ministère exhorte aussi les commerçants à consacrer les revenus issus de cette vente des sacs au financement de mesures environnementales, comme le reboisement ou la sensibilisation à la pollution marine. Mais rien ne les y oblige structurellement. Ne serait-ce pas plutôt des missions du ressort même du ministère de l’Environnement ?

En pratique, certains commerçants n’ont pas attendu cette communication du ministère pour prendre des mesures concrètes. Des supermarchés se sont déjà détournés des sacs plastiques gratuits et les combinis cherchent à les remplacer. Certains groupes importants les facturent déjà depuis plusieurs années comme Seiyu et Aeon Co. Le mois dernier l’entreprise Seven & I Holding a annoncé vouloir cesser définitivement d’ici 2030 l’utilisation des sacs plastiques. Depuis avril 2019, les combinis Seven-Eleven de Yokohama proposent le choix entre des sacs en papier ou des sacs plastiques. La même chaîne envisage d’emballer ses onigiris – 2,2 milliards d’unités vendues par an – dans du bioplastique d’ici peu. Le concurrent Lawson veut développer des contenants réutilisables. Dès lors, qu’apporte vraiment de nouveau et surtout d’utile cette loi ?

En conclusion, la logique libérale domine largement les décisions politiques au Japon, et ce en dépit de l’urgence écologique : il ne faut pas brusquer les entreprises et les autorités comptent sur leur entière responsabilité individuelle. Les changements apportés sont donc soumis aux logiques de marché et peinent à se concrétiser dans une société où une écrasante majorité de consommateurs ne se sentent pas concernés par la crise écologique. Le constat reste donc plutôt mitigé sur l’action du gouvernement dans la lutte contre la pollution plastique. En matière de transition, le Japon peut mieux faire.  Les mesures annoncées sont trop timorées, pas assez contraignantes et en retard sur les actions déjà entreprises par de grands groupes. Elles semblent plutôt destinées à donner une bonne image de l’archipel à l’approche des Jeux. Alors, que faire de cet océan d’indifférence où se noient créatures marines et illusions ?

S. Barret


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