À en juger par les données relatives aux voyages à l’étranger, les jeunes Japonais n’ont jamais été aussi peu nombreux à sortir du pays et à vouloir visiter le monde. Un sondage révèle que plus de la moitié des vingtenaires interrogés ne s’est jamais rendue à l’étranger et que beaucoup n’en éprouvent même pas l’envie. Et cette tendance fortement à la baisse ne concerne pas seulement le nombre de touristes mais aussi celui d’étudiants qui ne souhaitent pas apprendre ailleurs qu’au Japon. Des données qui interrogent sur la vision des japonais sur le monde, mais aussi la vision du monde sur le Japon…

En 2017, les Japonais dans leur vingtaine ont été moitié moins nombreux qu’en 1996 (année record) à voyager en dehors du Japon. Cette folie des japonais pour la découverte du monde, culminant dans les années 90, semble s’estomper rapidement. Et le fameux « syndrome de Paris » ne suffit pas à expliquer ces chiffres. Quand aux étudiants japonais à l’étranger, leur nombre a baissé de 36% en 10 ans, passant d’un nombre record de 80 000 en 2004 à 50 000 d’après les statistiques de l’OCDE. D’un coté comme de l’autre, les chiffres des dernières années ne laissent pas augurer une inversion de ces tendances.

À terme, ces baisses font craindre officiellement un amoindrissement de la place du Japon au sein de la communauté internationale. D’un point de vue écologique, c’est plutôt une bonne nouvelle pour la planète ! Mais comment expliquer le phénomène ?

Source : flickr

Le Japon n’a jamais autant attiré les étrangers, mais l’affinité n’est plus réciproque…

Les raisons de ce désamour pour l’étranger ? Elles sont en partie d’ordre économique avec la stagnation des salaires depuis plusieurs années au Japon alors qu’en parallèle le coût des études à l’étranger est en hausse. D’ordre démographique aussi avec une population vieillissante et un taux de natalité au plus bas n’assurant plus le renouvellement des générations. Pour maximiser leur réussite, de recherche d’emploi une fois diplômés, les étudiants renoncent aussi à aller étudier une année à l’étranger : car en partant ils risquent de rater des opportunités de stage ou de recrutement dans les meilleurs entreprises du pays. Vient enfin le terrorisme international, et la peur qu’il provoque dans les esprits. Cependant, un doctorant de l’Université de Tokyo spécialisé dans les questions d’immigration, Xiaochen Su, émet une tout autre hypothèse.

Pour lui, une raison majeure se trouve dans les guides de voyage japonais ! Il cite en particulier le guide le plus réputé : « Chikyu no arukikata » écoulé à 8 millions d’exemplaires. Ce guide pointe les statistiques des crimes, délits et les risques énoncés à se rendre dans certaines destinations. Des données sensibles à même de dissuader les Japonais. Ces derniers ont grandi au sein d’un pays qui reste malgré tout assez isolé culturellement (Tokyo n’étant pas la référence). D’autant plus que l’accès à une langue étrangère à l’école reste également limitée avec un apprentissage théorique de surface sans pratique. À la lecture du guide, ils voient des biais de confirmation concernant les étrangers (violents, dangereux,…) renforçant leurs éventuels préjugés. Pourtant, le fait qu’il y ait plus de crimes et délits ailleurs qu’au Japon ne signifie pas qu’un japonais va forcément être victime d’un crime en voyageant. Les risques, bien que réels, restent infimes.

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Quels dangers guettent le Japonais en Europe Centrale ?

Dans son étude, Xiaochen Su prend l’exemple du traitement de l’Afrique de l’Est qui n’est pas un cas isolé. Dans le guide « Chikyu no arukikata » une très grande place est réservée aux dangers et à la criminalité qui gangrènent la région, aux zones dans lesquelles il convient de ne pas se rendre (en bref presque partout). Des récits détaillent même les attaques subies par des touristes japonais, comme le ferait un journal de faits-divers. Les atouts et charmes de la région sont relégués à une portion congrue.

Devant un tel tableau, qui ressemble plus à un reportage de société ethnocentré qu’à une découverte du pays, on ne sera pas surpris si le voyageur japonais voit son envie de découvrir le monde s’en voit refroidie ! S’il convient bien évidemment de prévenir le futur touriste des risques encourus, comme le font tous les guides, axer la découverte d’un pays en insistant à outrance et quasi uniquement sur l’aspect sécuritaire ne peut avoir qu’un impact psychologique négatif et dissuasif, selon le docteur.

Exemple de reportage anxiogène sur le terrorisme

https://www.youtube.com/watch?v=8VZGdRy54tE

Pour Xiaochen Su, ce genre de guide, ainsi que les médias japonais en général (avides de faits-divers sordides et de sujets à sensation) contribuent à forger très tôt et à renforcer l’idée que tout autre pays que le Japon est dangereux. En dehors de son pays, le Japonais n’est réduit qu’à être la proie naïve et inoffensive de personnes malveillantes. Pour redonner le goût du voyage aux Japonais, il appelle à des traitements informatifs plus positifs, mais surtout plus nuancés et moins anxiogènes, sur les pays étrangers. Histoire d’éviter d’enrichir un « miroir déformant » qui oblitère les autres caractéristiques d’un lieu.


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Réveil ! Le Japon est loin d’être parfait.

Par ailleurs, la recherche de nuance doit s’opérer des deux côtés. Si, effectivement, on peut considérer le Japon plus sécuritaire que la France, d’autres aspects ne sont pas à occulter. Les statistiques officielles veulent que les crimes au Japon soient plus bas que dans d’autres pays. C’est sans doute vrai, mais il de notoriété que la police japonaise a parfois tendance à éviter que certaines affaires ne fassent systématiquement l’objet d’un rapport ou d’une enquête. Comme en société, on semble éviter les conflits inutiles. Concernant les cas d’agressions sexuelles et de viols par exemple, il sera très difficile pour une victime d’avoir ne serait-ce qu’une oreille tendue. Un procès ? N’en parlons même pas… Même chose pour nombres d’affaires jugées « de la vie privée ». Le gouvernement, et par conséquent la police, ont ordre de ne pas s’immiscer dans la sphère privée, ce qui laisse de nombreux cas sans intervention, dont des cas de kidnappings. Enfin, il y a le phénomène de la disparition de nombreuses personnes, japonaises comme étrangères.

Le cas de Tiphaine Véron pose particulièrement question. Cette Française a disparu du jour au lendemain lors de vacances au Japon en été 2018. Malgré des éléments troublants, les autorités ont toujours refusé d’envisager la piste criminelle. Les fouilles, menées sur une distance de 500 mètres, furent peu approfondies. La police japonaise n’a tout simplement pas enquêté sur ce cas. Et pour combien d’autres ? Au Japon, les disparitions d’adultes sont monnaie courante, au point où les autorités ne dépensent plus d’énergie dans des recherches jugées inutiles. Mais alors, que reflètent vraiment les statistiques officielles ?

L’arrestation de Takahiro Shiraishi à la télévision japonaise.

Certains cas infiniment tragiques finissent par exploser au visage des autorités japonaise à période régulière. Le dernier en date, celui de Takahiro Shiraishi en 2017, un jeune homme de 27 ans qui a tué et dépecé neuf personnes en deux mois. Il faudra attendre une neuvième personne disparue et l’enquête non-officielle du grand frère de la victime pour découvrir le charnier. Alors que la police pataugeait dans ses propres recherches, le jeune homme va simplement avoir l’idée de vérifier scrupuleusement le compte Twitter de sa sœur où il découvrira parmi ses proches le profile public du meurtrier en série. Sans cette rare volonté individuelle de mener l’enquête, combien de personnes auraient été portées disparues sans apparaître dans les statistiques de la criminalité ?

Faut-il en conclure que le Japon est dangereux pour autant ? Nous ne le pensons pas. Mais parfait et sans aucun risque, le Japon ne l’est pas. Comme dans tout pays, un minimum de risques sont à prendre en considération. Et si chacun faisait donc un peu plus preuve de nuance sur ce pays par ailleurs si merveilleux ?

S. Barret / Mr Japanization


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