La dimension morale, technique gouvernant les relations sociales est omniprésente dans la société japonaise. Celle-ci ne repose pas sur la notion de droits subjectifs (droits dont peut se prévaloir une personne) mais essentiellement sur la notion de devoirs envers autrui. À ce titre, son système légal repose majoritairement sur des droits sous-tendant des devoirs. Pourtant, son système juridique et son système judiciaire ont considérablement été influencés au fur et à mesure de l’évolution du pays, si bien qu’il en résultat un modèle complexe, difficile à saisir depuis l’extérieur…

Photo : The Supreme Court of Japan,Tokyo. © Jiji.

Histoire du système juridique nippon

D’emblée, il convient de préciser que le système juridique japonais est hérité de la Chine ce qui peut être difficile à admettre pour les Japonais(es). En effet, outre l’influence occidentale décrite ci-après, le Japon a subi une influence orientale qui est largement issue du légisme et du confucianisme chinois. Le principe clé commun entre les deux pays est ce souci de concilier, de trouver un compromis, plutôt que la pratique du contentieux.

La fin de la Sakoku (fermeture du pays), de 1600 à 1868 sous l’ère Edo, et l’abolition de la féodalité permettent la restauration de Meiji qui fera recouvrir à l’Empereur l’intégralité de ses pouvoirs. À partir de 1868 et la réouverture du pays, un souffle de modernisme va traverser le Japon encore féodal et désireux de rattraper son retard sur les pays occidentaux pour devenir une puissance économique, industrielle et militaire capable de rivaliser avec eux et de défendre ses intérêts d’égal à égal. Ce que l’archipel ne tardera pas à faire.

Dès le début 19ème siècle, le Japon va commencer à s’inspirer des pays de droit romano-germanique. À titre d’exemple, il a commencé à s’inspirer des solutions du Code civil allemand et de l’ensemble du droit pénal français de l’époque.

Un siècle plus tard, l’histoire a joué un rôle décisif dans l’évolution du droit japonais avec la reddition sans condition du Japon impérial à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cette évolution se caractérise par une véritable révolution politico-juridique dans laquelle le droit étasunien va venir concurrencer les influences romanistes dans de nombreux domaines du droit, à commencer par l’organisation de la justice.

Aujourd’hui, le système nippon est un système qualifié de « droit mixte » c’est-à-dire un pays ayant subi plusieurs influences. En l’occurrence, il mélange ici la tradition civiliste (romano-germanique) et le système de Common law. Les fondements juridiques du droit japonais sont d’origine romano-germanique. La technique juridique de la codification a rendu bien évidemment plus aisé l’exportation du système romano-germanique. Ce n’est que pour les procédures des affaires techniques (de droit commercial) que le droit japonais utilise les droits de Common law. Ainsi, le système juridique nippon fait partie de la famille de droit mixte par ces emprunts aux systèmes romano-germanique et de Common Law qui finissent par s’influencer réciproquement. Dans les faits, ces deux systèmes coexistent également dans d’autres Nations comme cela est le cas au Canada et dans les pays Scandinaves. Il faut toujours garder à l’esprit que, compte tenu de l’évolution considérable des relations internationales, économiques, financières, commerciales, culturelles et politiques, ces familles se rapprochent et s’influence mutuellement.

Le système judiciaire japonais

Les USA ayant occupé le Japon de la fin de la guerre jusqu’en 1952, le système judiciaire nippon a été reforgé sous l’influence des Américains qui n’ont toutefois pas rédigé la nouvelle Constitution du pays. Le Japon est dorénavant doté d’un système parlementaire qui prévoit une stricte séparation des pouvoirs avec un Empereur qui n’a plus qu’un rôle protocolaire au sein de l’État.

Deux faits notables : premièrement, au Japon, il y a des départements et des régions comme en France mais les villes ont plus de compétences notamment avec un pouvoir réglementaire extrêmement élevé. Par exemple, le mariage homosexuel est autorisé dans certaines villes uniquement. Ce pouvoir « locale » important est dû au nombre très élevé d’habitants par ville. Deuxièmement, il y a des élections au niveau des métropoles mais pas des régions et des départements.

Au Japon, il n’existe pas de dualité des ordres de juridictions administratives et judiciaires comme en France. Son système de juridiction est unitaire.

L’organisation des différentes juridictions au Japon se décompose, en commençant par l’échelon le plus bas, comme suit :

  • 438 tribunaux sommaires (Kan’i-saiban-sho), à juge unique, qui statuent sur les affaires inférieures à 9 500€ de préjudice. La particularité est qu’il est possible d’interjeter appel devant les tribunaux de district si le juge ne fait pas droit à votre demande;
  • à l’échelon supérieur apparaît la collégialité de juges avec 50 tribunaux de district (Chihô-saiban-sho), dont une chambre familiale (Katei-saiban-sho) qui s’occupe de statuer uniquement sur les litiges familiaux, dédiée à chacun de ces tribunaux;
  • encore un cran au-dessus, se trouvent 8 Cours d’appel (Kôtô-saiban-sho) avec une collégialité. Ici, l’appel est un appel à la française puisque les juges du fond devront ici restatuer, en droit et en fait, sur l’affaire
  • au sommet se trouve une Cour Suprême (Saikō-Saibansho), un peu calquée sur le modèle étasunien à l’exception qu’ici il y a 15 juges, qu’ils ne sont pas nommés à vie et qu’ils sont nommés par le Cabinet (le Gouvernement) sans audition de la Diète (le Parlement).

À noter que le contrôle de constitutionnalité au Japon est diffus. En d’autres termes, la Cour Suprême n’en a pas le monopole et il peut donc être exercé par d’autres juridictions. En France par exemple, ce n’est pas le cas puisque ce contrôle est exclusivement réservé au Conseil Constitutionnel. Très peu de lois sont déclarées inconstitutionnelles notamment car il n’y a pas de Conseil supérieur de la magistrature au Japon. Il n’existe pas de statut de la fonction publique comme en France. C’est le Secrétariat de la Cour Suprême qui fait office de Conseil supérieur de la magistrature, ce qui pose un problème d’indépendance. Autre originalité : il existe des comités citoyens élus à l’échelon des villes qui peuvent demander à un procureur les raisons de son classement de l’affaire.

Tous les juges sont des juges professionnels. Ils sont assimilés à des fonctionnaires au sens américain du terme, c’est-à-dire que ce sont des contrats renouvelés et renouvelables. La distinction « magistrats du siège«  et « magistrats du parquet » est la même que celle du modèle français. Comme précédemment expliqué, il n’y a pas de Conseil supérieur de la Magistrature et c’est donc la Cour Suprême qui décide de l’affectation des magistrats. Il y a donc peu de contradictions entre les juridictions inférieures et la Cour Suprême. Les magistrats sont nommés pour un mandat de 10 ans ce qui amplifie le problème d‘atteinte à l’indépendance.

Il y a plus de 3 000 juges et presque 2 500 procureurs dans l’archipel. Tous les juristes passent le même examen, qui est par ailleurs très difficile. Pour cause, il n’y a que 20 000 avocats au Japon et le taux de réussite à l’examen d’avocat est de moins de 3%.

Le Japon reste avant tout un pays de procédure et de conformisme. Tout est procéduralisé au Japon (la façon de se tenir, de travailler, la vie en général,…). Les aspects de la vie qui sont légalement réglementés restent résiduels. De fait, il existe un véritable contrôle social « naturel » au Japon. Par exemple, si vous jetez un papier par terre on vous le fera remarquer. Le conformiste social est une norme très puissant (= le jugement des autres). Au Japon, le contentieux n’est globalement pas apprécié et évité tant que possible. Le recours à la justice reste ainsi assez rare et mal perçu dans la société. Ce système très conformiste apaise officiellement les potentiels conflits. À l’image de sa société, le droit nippon privilégie lui aussi le compromis et la conciliation.

Si ce conformisme puissant a l’avantage d’offrir un climat de paix, au moins en apparence, notamment avec un faible taux officiel de criminalité, de nombreux cas qui devraient être portés devant la justice ne le sont tout simplement pas. On pense notamment aux cas spécifiques des viols, et du harcèlement sexuel. Le parcours des victimes pour obtenir justice est oppressant tant il particulièrement nécessaire de briser le conformisme et d’oser remuer les apparences de paix sociale de la société japonaise. Nous n’oublierons jamais les mots d’une japonaise victime d’un viol que nous avions interviewée en 2016 : « Quand j’ai rencontré un avocat pour lui décrire mon viol, celui-ci m’a ouvertement déconseillé de porter l’affaire devant les tribunaux. Les frais de justice devraient s’élever à une année de salaire sans aucune garantie de gagner l’affaire, faute de témoins ayant assisté au viol… ».

Jordan MEHRAZ

Notes

La famille romano-germanique aussi appelée famille de tradition juridique civiliste est la plus représentée dans le monde avec 77 des 192 pays membres de l’Organisation des Nations Unies. Le système romano-germanique trouve sa source dans l’importance de la loi (la codification), qui est la première source du droit, et se caractérise par une administration qui obéit à des règles différentes de celles qui régissent les relations privées.

La famille de Common Law trouve sa source dans la place accordée à la jurisprudence (décisions juridiques) qui est la première source du droit et dans sa règle du  »précédent judiciaire ». Cette règle veut que les décisions rendues par une juridiction constituent des précédents obligatoires qui s’imposent et qui doivent être suivies par toutes les juridictions qui lui sont hiérarchiquement inférieures. Le précédent judiciaire peut tout de même être renversé par ce que l’on appelle un revirement de jurisprudence. Dans le système de Common Law le droit est élaboré par des juridictions, ce qui confère une prédominance de la règle casuistique (de cas par cas). Ce système se distingue également par une imbrication des règles de fond et de procédures ainsi que par l’absence de distinction entre le droit public et le droit privé.

Le concept de  »système juridique mixte » mêle plusieurs traditions juridiques. 63 des 192 pays membres de l’Organisation des Nations Unies sont considérés comme des systèmes mixtes mêlant la tradition civiliste et une ou plusieurs autres.

Cette appellation désigne les juges exerçant dans les juridictions inférieures à la Cour Suprême. Ceux qui exercent dans cette dernière sont qualifiés de  »juges du droit » parce qu’ils ne statuent qu’en droit alors que les juges du fond analysent et qualifient les faits et statuent également en droit.

Le contrôle de constitutionnalité est un contrôle juridictionnel visant à assurer la conformité des normes légales (lois, décrets, règlements et tous autres actes officiels quels qu’ils soient) par rapport à la Constitution, qui est la norme juridique suprême, la plus importante, d’un État. Si la norme légale est jugée inconstitutionnelle, c’est-à-dire si elle est déclarée contraire à la Constitution, elle devra être abrogée.

En droit français, le Conseil supérieur de la Magistrature est organe constitutionnel et une juridiction administrative spécialisée qui est, en outre, habilité à statuer sur des questions prioritaires de constitutionnalité, chargé de juger les juges et d’intervenir dans les nominations des magistrats.

Les magistrats du siège (les juges classiques) ont pour fonction de  »dire le droit » pour pouvoir juger et ainsi en rendre des décisions de justice.

Les magistrats du parquet (les procureurs) quant à eux, représentent le Ministère public (l’intérêt général : la société) et sont chargés de requérir l’application de la loi devant les juridictions en proposant aux magistrats du siège une peine.


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