Poulpy fait régulièrement référence à la baisse de la population japonaise. Et l’une des conséquences de cette baisse est l’augmentation continue de logements vides. Une étude du gouvernement datant du 1er octobre dernier établit que plusieurs millions de logements sont vacants dans l’Archipel. Le problème de leur reconversion devient de plus en plus critique pour les autorités…

La population japonaises est vieillissante et en déclin, nous en avions fait l’objet d’un dossier détaillé il y a bientôt deux ans, mais celui-ci reste terriblement d’actualité. Ce vieillissement général couplé à un changement des mentalités familiales et à l’exode rural conduit de plus en plus de personnes âgées, vivant coupées de la société et de leur famille, à mourir seules chez elles. La mort solitaire est d’ailleurs devenue un problème de société nommé « kodokushi » que nous avions également abordé. Conséquence logique des deux points précédents, une explosion du nombre de logements vides au Japon.

En cinq ans leur nombre a ainsi progressé de 260 000 pour s’établir au chiffre record de 8,46 millions de logements abandonnés selon les chiffres communiqués par le ministère des Affaires intérieures et des Communications. À savoir que le Japon compte 62,4 millions de logements dont 53,7 millions sont occupés. Les habitations vides représentent donc 13,6% du total. Une quantité non négligeable et appelée à encore augmenter. Cependant, ces chiffres doivent être replacés dans leur contexte. Certaines régions sont plus touchées que d’autres. Ainsi c’est près d’un quart de logements vides que l’on compte dans les préfectures de Yamanashi et de Wakayama. À l’inverse, Saitama au nord de Tokyo et Okinawa sont les plus faiblement impactées. Des disparités à mettre sans doute en relation avec l’attractivité économique de ces régions. Saitama, par exemple, offre un lieu de vie proche de la capitale, des transports en commun efficaces et tout le confort d’une grande ville. Par ailleurs, de nombreux projets immobiliers y voient le jour en ce moment.

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En effet, 1,8 million de logements neufs ont vu le jour sur la même période. Ceci peut sembler paradoxal et pourtant. Il faut savoir que les Japonais contemporains préfèrent les habitations neuves et modernes aux anciennes (qu’importe leur charme et leur histoire). Jusqu’à récemment d’ailleurs les logements étaient construits pour ne durer qu’une trentaine d’années, soit à peu près le laps de temps où une famille l’occupait. Par conséquent, les habitations construites dans les années 70/80 n’attirent plus.

Par ailleurs, si on trouve logiquement des logements abandonnés dans des zones rurales peu attractives au niveau de l’emploi et où vit majoritairement une population âgée, les logements à l’abandon ne sont pas non plus rares en ville. Les enfants (alors déjà adultes d’âge mûr) qui héritent de leurs parents ont souvent fait leur vie ailleurs et ne peuvent/veulent pas aller habiter dans ce qui fut autrefois la maison familiale, de même que les petits-enfants, jeunes adultes s’installant près du lieu de leurs études ou de leur travail. En outre, le système d’héritage japonais comporte des frais de succession très élevés qui font que l’héritage est parfois refusé. S’il est accepté, il peut naître des conflits entre héritiers s’éternisant devant les tribunaux.

Ces états de fait couplés au prix exorbitant à débourser pour démolir une habitation font que les propriétaires, s’il y en a, se bornent à en payer les taxes foncières sans se soucier de son entretien. Car au Japon il est fiscalement plus intéressant de payer les taxes d’un logement que d’un terrain nu assujetti à un taux d’imposition six fois plus élevé. Cette taxation lourde pour les terrains est un reliquat de l’époque où le gouvernement voulait inciter à la construction immobilière dans un pays alors en plein boom économique. Quant à ceux qui veulent louer ou vendre, ils se heurtent au manque de candidats. Au final ces logements tombent peu à peu en ruine et passent d’inhabités à inhabitables.

Nombre d’étrangers ont souvent l’image d’un Japon aux maisons inabordables. Tout comme la distribution des richesses dans la population, les prix varient drastiquement selon les lieux. Lors de nos recherches d’un appartement en 2018, il pouvait nous être proposé un logement neuf de trois pièces pour 2 millions d’euros (!!!) en plein cœur de la capitale. 15 fois le prix « normal » à quelques kilomètres de là. Partout ailleurs, dans le Japon rural, les prix fluctuent beaucoup plus. Loin de tout, surtout de l’activité économique concentrée en agglomération, certaines maisons se bradent pour une bouchée de pain. En périphérie de Kyoto, nous avons rencontré des propriétaires acculés, incapables de vendre leur maison familiale traditionnelle. Un pan de la culture japonaise qui fait souvent rêver à l’étranger disparaît peu à peu.

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Cette situation, le gouvernement japonais a pourtant cherché à y remédier. En 2017, il lançait un plan visant à réutiliser ses habitations en les destinant aux personnes âgées isolées et aux ménages en grande précarité. Un projet qui aurait du même coup résolu le manque de logements sociaux dont souffre le Japon. Mais seulement 7000 logements et chambres vacantes ont été enregistrés en janvier 2019 pour le programme alors que les prévisions du gouvernement tablaient sur 175 000 logements d’ici 2020, à raison de 50 000 par an. Un échec cuisant dû à la frilosité même des propriétaires à louer leur bien pour ce type de locataires, craignant des décès ou des impayés alors que les autorités s’engageaient à subventionner en partie le loyer et même les rénovations si le logement en nécessitait. Globalement, les Japonais aiment à éviter les situations jugées hâtivement comme problématiques (ce qui pose également des limites pour les étrangers au Japon). Quoi qu’il en soit, le gouvernement va devoir revoir sa copie, en supprimant par exemple la taxation élevée des terrains qui n’a plus lieu d’être ou en offrant des avantages fiscaux aux propriétaires pour inciter à la démolition des « vieilles » maisons inutilisables et invendables.

Car ces logements abandonnés constituent à terme un problème pour le voisinage toujours présent. En plus de dégrader visuellement le quartier et d’en déprécier la cote, les logements attenants peuvent notamment souffrir de problèmes d’humidité, d’infestation ou risquer des accidents à cause de ces habitations proches (maisons ou appartements) qui ne sont plus entretenues, sont devenues insalubres voir menacent de s’écrouler dans les cas les plus extrêmes. On notera que les logements traditionnels assez anciens et bien placés pour attirer des investisseurs passionnés n’ont pas nécessairement ce problème. Autrement, il suffit de s’enfoncer dans le Japon rural pour observer à quel point le pays semble tomber en ruine physiquement, au grand bonheur des fans d’urbex.

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Ajoutons pour finir que ce problème des logements vides s’étend aussi aux écoles japonaises. Plongeon de la natalité oblige, de nombreuses écoles publiques ont fermé leurs portes et sont à l’abandon. L’une de ces écoles fantômes se trouve d’ailleurs à Tokyo même, à coté de la gare de Ueno. L’état revend le plus souvent ces bâtiments à des entreprises qui les transforment en écoles privées, en centres de loisirs, en maisons de santé, voir en onsen !

Une fois n’est pas coutume, l’archipel nippon est à la croisée des chemins. La décroissance de la population dans un contexte d’économie morose semble être le grand enjeu du siècle. Et pourtant, d’aucun dirait que nous pouvons aussi y voir une opportunité, si l’obstacle financier arrive à être surmonté. En effet, la crise climatique n’épargnera pas le Japon et la capacité future à nourrir toute la population pourrait bien devenir un jour une question vitale de survie collective. Car si les Japonais font certes moins d’enfants, ils sont tout de même 130 millions d’individus à vivre sur cette île aujourd’hui largement dépendante des importations et des énergies fossiles.

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S. Barret


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