La représentation du sexe féminin peut-il être de l’art ou est-ce seulement de l’obscénité ? Une interrogation à laquelle l’artiste japonaise Megumi Igarashi se retrouve régulièrement confrontée, ce qui l’a menée devant les tribunaux japonais. Elle qui, par son travail, espère briser enfin le tabou hypocrite qui entoure le sexe féminin au Japon.

Au Japon, si le marché de la pornographie génère des milliards d’euros, les représentations d’organes génitaux sont purement interdites. Que ce soit dans la presse spécialisée, l’art, les films pornographiques et les hentaï, les organes sexuels féminin et masculin sont systématiquement floutés, dissimulés voir remplacés par un coussin. Alors même que le pays célèbre sans aucun complexe le membre viril masculin chaque année lors du Kanamara Matsuri, s’il n’y a aucune gêne à voir promener des pénis géants et à déguster de manière forcément suggestive des sucettes en forme de verge, le corps féminin est soumis à d’autres règles. Un paradoxe qui interpelle, d’autant plus quand on se rappelle des estampes érotiques « shungas » très crues qui fleurissaient entre le 17ème et le 19ème siècle. Une pudibonderie à deux vitesses, schizophrène ou hypocrite d’un patriarcat toujours très présent ?

Source : https://6d745.com (Megumi Igarashi)

Si l’artiste plasticienne Megumi Igarashi a justement choisi de centrer son art autour de la représentation du sexe féminin, c’est surtout pour que la vision de celui-ci ne soit plus cantonnée à de la vulgarité ou un attrait commercial et que l’on puisse en parler librement sans honte, comme de n’importe quelle autre partie du corps humain. Et pour œuvrer dans ce sens « Rokude Nashiko » (« fille bonne à rien ») de son surnom d’artiste, a choisi le registre de l’humour teinté de kawaii : elle a décliné le sexe féminin en dioramas de son propre organe, moulé en bijoux, en coques de smartphone aux coloris pop, en jeu de dames, en boite de mouchoirs et même en canoé… Dans une volonté d’interpeller l’opinion, elle a même customisé une figurine de Gundam avec une vulve, la renommant pour l’occasion Gundaman, le suffixe -man diminutif du mot tabou « manko » se traduisant par « chatte » en japonais. Elle créera d’ailleurs des objets baptisées « Deco-man », dont le nom est un jeu de mots entre « décoratif » et « manko ».

Source : Megumi Igarashi

Et si Megumi a décidé d’orienter ainsi sa carrière artistique, avec tous les risques légaux que ceci implique, c’est aussi que petite fille, elle craignait que son sexe soit anormal, faute de savoir à quoi ressemblait un appareil génital féminin. Pour cause, en matière d’éducation sexuelle, le Japon recule face aux attaques des hommes politiques conservateurs. Elle est convaincue que si la notion d’obscénité colle seulement au sexe féminin, c’est parce que celui-ci est trop caché, alors que dans le même temps les illustrations de pénis font partie de la pop-culture.

Parallèlement, l’image de la femme au Japon est toujours très représentée de manière fantasmagorique et sexualisée, reflet d’une frustration importante et d’une population très peu sexuellement active. Les violentes critiques négatives qu’elle va recevoir après ses premières créations n’ont fait que renforcer sa volonté de démocratiser la vision du sexe féminin à travers son art. Quitte à se heurter aux autorités, ce qui ne manqua d’arriver. Peu à peu, « le vagin » teinté de seconde degré (humour très mal compris dans l’archipel) est devenu sa marque de fabrique.

Regardez attentivement…

Source : Megumi Igarashi

En 2013, elle organisait avec succès une campagne de financement participatif pour pouvoir réaliser un kayak dont la forme serait la reproduction en 3D de son propre vagin. L’œuvre qui fera déborder le vase. Celle-ci lui a valu d’être mise en état d’arrestation en juillet 2014 après qu’elle a envoyé en remerciement à ses contributeurs un fichier 3D qui servait de modèle pour réaliser le kayak ou d’autres objets. Elle tombait alors sous le coup de la loi pour « distribution de contenu indécent », un délit passible de deux ans d’emprisonnement et 2 millions de yen (17 000€) d’amende !

Une hypocrisie sans nom alors que les poupées sexuelles d’enfants, la prostitution cachée ou encore l’embrigadement de jeunes filles dans la pornographie forcée sont des réalités qui émeuvent peu. Mais après avoir fait appel en justice et grâce à la mobilisation de milliers de personnes qui avaient signé une pétition réclamant sa libération, elle fut relâchée quelques jours plus tard et déclara dans une conférence de presse donnée pour l’occasion : « Je ne pense pas que mon vagin soit obscène de quelconque manière« . L’obscénité, c’est l’hypocrisie d’un système gouverné par des hommes faisant du corps de la femme un objet commercial.

Source : Reuters

Un message qu’elle aura du mal à faire entendre à la justice japonaise. Car quelques mois plus tard Megumi était de nouveau arrêtée pour avoir mis en ligne un fichier téléchargeable contenant les données nécessaires pour que n’importe qui puisse réaliser son embarcation vaginale, un pied de nez à son arrestation en juillet, et pour avoir exposé des sculptures « Deco-man ». Puis elle fut officiellement inculpée devant un tribunal le 24 décembre 2014 pour avoir enfreint la loi relative à l’obscénité. Reconnue coupable en mai 2016 et condamnée à une amende de 400 000 yens (3400€), elle a immédiatement fait appel du jugement auprès de la Cour Suprême et a déclaré à l’issue de l’audience lors d’une conférence de presse : « J’œuvre pour renverser la vision masculine du sexe féminin dont on ne parle qu’à travers le prisme du concept d’obscénité et je suis mortifiée que la juge n’ait pas compris cela ». Et de distribuer à ses fans venus la soutenir des petites figurines roses en forme de sexe féminin et une carte de fidélité tamponnée du même motif.

La Cour Suprême de Tokyo a rendu son avis jeudi dernier et a confirmé le jugement précédemment rendu : Megumi Igarashi reste condamnée à payer une amende de 400 000 yens. Maigre consolation, tout comme le précédent tribunal, la Cour Suprême a reconnu que les figurines « Deco-man » n’étaient pas obscènes car leur vision n’est pas « sexuellement stimulante ». Encore une position parfaitement hypocrite alors que les figures de personnages féminins nus pullulent à Akihabara et ailleurs. L’artiste a de nouveau fait appel de ce jugement, estimant que ce n’est pas aux autorités de définir ce qui est de l’art ou pas et craignant que les artistes en viennent à se censurer. Cependant elle reste optimiste et convaincue que son combat ne sera pas vain : « Petit à petit… je commence à recevoir du soutien des Japonais« . Elle entend continuer d’exposer ses œuvres au Japon pour faire entendre son message et être enfin acquittée des accusations qui pèsent sur elle. Un premier pas vers la reconnaissance publique et le changement des mentalités…

S. Barret


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Sources : japantimes.co / theguardian.com / huffingtonpost.ca / lemonde.fr /

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