Installé au Japon grâce au Programme Vacances-Travail, un lecteur nous partage son expérience du monde du travail au pays du Soleil Levant. S’il y a vécu de merveilleux moments qui l’ont encouragé à s’y installer, dont un mariage heureux, il a également subi les cotés sombres du système de l’entreprise japonaise : humiliations permanentes de ses supérieurs, peu d’entraide entre les employés, absence de service où confier son mal-être… Bien que son vécu ne soit pas à prendre comme une généralité absolue, il a souhaité exprimer son expérience choquante, et le profond mal-être qui en résulte, à la communauté de Mr Japanization.

Le Japon fait toujours énormément rêver, à raison. Ce pays si paisible et fascinant à nos yeux ne cesse d’attirer de nouveaux voyageurs rêvant souvent de s’y installer à long terme. Un moyen rapide de vivre une expérience de résident au Japon est sans aucun doute le PVT pour Programme Vacances-Travail. Celui-ci ouvre donc le droit à des jeunes de travailler au Japon durant un séjour légal d’une année. Malheureusement, le choc culturel est parfois difficile à encaisser, surtout dans le monde du travail.

Si certains vivront une expérience inoubliable, avec plus ou moins de chance, d’autres seront plongés une réalité culturelle bien plus froide qu’espéré. Pressions structurelles permanentes, règles aussi rigides que parfois absurdes, salaires peu élevés, soumission totale à la hiérarchie, tâches ingrates et répétitives, heures insoutenables et dans le pire des cas, du harcèlement, le monde du travail traditionnel nippon ne fait pas toujours rêver, les japonais eux-mêmes peuvent en témoigner.

Le grand public en avait eu un avant goût dans les années 1990 avec le roman (et film) d’Amélie Nothomb : Stupeur et Tremblements. Titré hérité de l’ancien protocole impérial stipulant qu’on s’adressera toujours à l’Empereur avec « stupeur et tremblements » ! Étrangement, c’est un long métrage qu’on aime revoir à l’envie tant il est à la fois réaliste et fascinant dans la normalisation de certaines violences sociales. Il nous donne le goût de cette mélancolie difficilement descriptible qui nous prend aux tripes quand on vit à la japonaise.

Extrait de Stupeur et Tremblements

Pierre-Yves, un lecteur de Mr Japanization, se souvient parfaitement de son expérience traumatisante. Contrairement à Amélie, il enchaînera les petits boulots qui vont peu à peu le broyer. À chaque expérience, c’est le même schéma qui se reproduit. Voici son témoignage brut parmi tant d’autres. Vous pouvez d’ailleurs à tout moment nous écrire pour nous proposer votre vécu au Japon.

« L’être dominé et le dominant »

Bonjour. Je me présente. Je m’appelle Pierre-Yves, j’ai 41 ans et j’ai eu la chance de faire partie de la première vague des heureux processeurs du fameux visa « vacances-travail » entre 2002 et 2003. { À l’époque, cette expérience constitue donc une nouveauté ! }

Durant cette petite période, j’ai eu la chance d’être embauché comme traducteur/commercial dans une petite boutique/restaurant à Tôkyô ayant pour thème le « Petit Prince de Saint Exupéry ». Tout n’était pas parfait (surtout le salaire) mais cela m’a permis de passer mon année sabbatique dans de bonnes conditions ce qui me conforta dans le fait que je désirais vivre définitivement au Japon.

Marié en 2006 à Osaka, j’ai pu découvrir avec mes yeux d’étrangers ce qu’était vraiment la vie à la japonaise. J’ai eu en effet la chance (le malheur?) de toujours avoir été traité « comme un Japonais », ayant déjà à l’époque, un niveau assez soutenu en japonais. Par ce biais, j’ai pu tester de nombreux jobs avec plus ou moins de succès :

Serveur dans un restaurant dans le parc d’attractions

Cameraman pour une entreprise audiovisuelle

Vendeur dans un magasin de jouets

Agent d’escale à l’aéroport d’Osaka

Employé dans le service SAV d’une entreprise de jeux vidéo sur mobile

Professeur en ligne pour une grande école de langues

Homme à tout faire pour une entreprise de mariage traditionnelle

Source : flickr

Dans tous ces métiers, je n’ai jamais réellement pu m’épanouir. Ce n’était pas forcément à cause du salaire ou du nombre d’heures pharaoniques que je pouvais engranger mais plutôt à cause de mon image trompeuse que j’avais du salarié lambda japonais. Je pensais naïvement qu’au Japon, on accumulait les heures mais dans une ambiance de travail « chaleureuse » où on se serrait les coudes pour le bien commun de l’entreprise et surtout de la clientèle.

Hélas, le plus gros problème que j’ai rencontré durant ma courte expérience, ce fut de découvrir que le système japonais se reposait globalement sur le principe de « l’être dominé et le dominant » à tous les niveaux. Avoir toujours un responsable qui passait son temps à nous diminuer au lieu de nous encourager a été très dur pour moi. Même si évidemment, j’ai eu des expériences professionnelles plus ou moins différentes selon l’entreprise, au final, elles avaient toutes cette notion où il fallait baisser sa tête et se faire casser du sucre sur le dos. Pour moi, occidental, ça a été très difficile à supporter, même si à chaque nouvelle expérience professionnelle, je savais que le même phénomène de micro-harcèlement recommencerait, je m’accrochais sur le fait que je devais serrer les dents afin de pouvoir soutenir financièrement ma famille.

Le pouvoir de démissionner à tout instant

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au Japon l’arme la plus forte qu’a le salarié est de pouvoir démissionner à tout moment. Souvent, les démissions se font du jour au lendemain, sans un mot ni un au-revoir. { Et ce même si pratiquement aucune sécurité sociale n’attend le salarié, soudainement voué à lui même. Ce phénomène de rupture brutale est observé également au niveau des rapports de couple }. C’est très frustrant de voir des collègues littéralement disparaître du jour au lendemain.

Je voyais bien les personnes qui ne sentaient pas bien. J’essayais de parler avec elles mais peu se confiaient sur leurs sentiments. Juste une seule fois, un jour, une jeune collègue s’est écroulée sur moi en pleurs. Elle était à bout. Ça me marquera à vie.

Extrait de Stupeur et Tremblements

Forcément, quand c’est ton supérieur direct qui te diminue à longueur de journée, à qui se confier si tu as des problèmes ? Je n’ai jamais eu de contact avec des conseillers ou un service des ressources humaines dans les entreprises où je travaillais.

Finalement, je n’ai même jamais vraiment cherché à prendre éventuellement contact avec eux car, de toute façon, au Japon, on te pousse à ne jamais rester inactif, à quel moment j’aurais pu chercher de l’aide ? A qui demander ? J’avais un peu honte… donc, comme de nombreux Japonais, quand j’étais vraiment à bout après plusieurs mois de durs labeurs, j’utilisais mon ultime joker : la démission brutale. J’ai compris alors que l’entreprise japonaise moderne nous presse comme des citrons jusqu’à nous vider de notre énergie pour ensuite nous remplacer.

Un jour, une seule et unique fois, nous avons eu droit à une réunion pour présenter ce qu’était le harcèlement au travail. C’était très intéressant. Évidemment, mon boss n’a pas arrêté de me regarder durant la réunion, avec un petit sourire au coin… { Une fois de plus, il est souvent question de porter des masques devant les autres, sans hésiter à les détruire quand personne ne regarde }.

Moralité : Être un salarié commercial au Japon, n’est vraiment pas, selon moi, une situation enviable. { Pourtant, la société japonaise continue d’associer le salariat à une situation idéale et stable, nécessaire notamment pour fonder une famille. Le paradoxe saute aux yeux }. Je ne pourrais plus jamais retenter cette expérience. J’ai déjà donné et je ne souhaite à personne à vivre ce que j’ai vécu même si évidemment, il a pire ailleurs… Il y a toujours pire…

{ Le témoignage de Jean-Yves est évidemment très loin d’être le seul que nous ayons reçu. Les japonais eux-mêmes souffrent de cette culture du travail fondée sur un management qui peut être assez oppressif selon l’entreprise, surtout les plus anciennes avec un héritage traditionnel important. Si chaque expérience au Japon reste unique, rappelons que la vie de salarié n’est pas un doux rêve tranquille à moins d’avoir beaucoup de chance ou de travailler dans une boite étrangère et moderne.

Il faut comprendre que l’image de succès et de liberté que donnent certains gros Youtubeurs au Japon est TOTALEMENT déconnectée de la réalité. Ceux-ci vivent le plus souvent de partenariats commerciaux et de publicités, ce qui leur permet d’éviter de devoir se confronter à une vie professionnelle réelle au Japon. Une existence privilégiée, sans réellement travailler, que les japonais eux-mêmes et la majorité des expatriés ne pourront probablement jamais vivre. }

Merci à Jean-Yves pour nous avoir partagé son expérience.


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